La science est peut-être sur le point de permettre la gestation des foetus humains dans des utérus artificiels. À quoi ressemblera la vie quand elle pourra se passer du corps féminin? Une sociologue québécoise s'est penchée sur la question.

Non, les bébés ne poussent pas dans les choux. Mais ils pourraient bientôt naître d'une machine. Science-fiction? Pas du tout. Depuis plus de 50 ans déjà, des chercheurs partout sur la planète travaillent à l'élaboration d'un utérus artificiel, lequel permettrait la gestation d'un foetus, sans le moindre contact avec un corps féminin. D'ici 5, 10 ou 20 ans, ce scénario futuriste pourrait devenir réalité. Et il est grand temps que l'on s'interroge sur ses bienfaits, met en garde une sociologue québécoise, dans un essai publié la semaine dernière.

En fait, les bébés «artificiels», nous en sommes beaucoup plus proches qu'on le croit, fait valoir Sylvie Martin, auteure du Désenfantement du monde, aux éditions Liber, rencontrée hier. «Quand on jette un coup d'oeil aux techniques de reproduction qui existent déjà, on réalise que le début de la grossesse est déjà reproduit techniquement, explique-t-elle. Avec la néonatalogie et les incubateurs, on est aussi capables de reproduire la fin de la grossesse. Et cet écart entre le début et la fin de la grossesse tend de plus en plus à rétrécir.» Du coup, déjà, la question se pose: «La grossesse est-elle devenue facultative?»

L'objectif de l'utérus artificiel est double: il s'agirait d'une part d'en finir avec l'infertilité, mais aussi de mieux encadrer le développement des foetus. Les réflexions entourant ces développements ont à ce jour été surtout favorables. «La logique thérapeutique n'a pas de limites en soi», fait valoir l'auteure. Selon certaines féministes radicales, cela permettrait en prime de libérer les femmes du fardeau de l'enfantement, autorisant, enfin, une égalité de facto entre les sexes.

C'est dans un cours de maîtrise à l'Université de Montréal sur les technologies scientifiques (OGM, clonage, etc.) que la sociologue a appris l'existence des recherches, qui remontent aux années 50, entourant l'utérus artificiel. «J'ai voulu comprendre: pourquoi on voudrait se débarrasser du corps féminin?» D'où l'idée de consacrer son mémoire à cette question, dont la vulgarisation vient d'être publiée sous forme d'essai.

Le livre, fascinant et terrifiant à la fois, retrace toute l'histoire de l'«effacement» du corps de la femme dans la question de la procréation. Car si l'utérus artificiel semble sortir tout droit d'un film de science-fiction, il ne vient pas de nulle part. Il est le fruit d'une série de percées scientifiques, de la fécondation in vitro à la péridurale, en passant par les mères porteuses ou les grossesses tardives (des mères sexagénaires). On se rend compte, en bout de piste, que la science a de plus en plus pris le pas sur le corps de la femme. À preuve, souligne l'auteure, une femme peut aujourd'hui être la mère génétique de son neveu (par don d'ovules), une grand-mère peut porter son petit-fils, et un enfant peut avoir jusqu'à cinq parents différents (si les parents adoptifs ont recours, par exemple, à un donneur de sperme, une donneuse d'ovules, et une mère porteuse). Bref, la mère génétique est déjà loin d'être indispensable.

«L'ectogenèse, la genèse à l'extérieur du corps de la femme, existe déjà, résume la sociologue. Mais on ne la questionne pas beaucoup.»

Selon elle, la création d'un «utérus artificiel» incarnerait «l'apothéose du contrôle technologique de la science sur la procréation». D'où son invitation à une certaine réflexion sur la question. «En sachant qu'une telle machine aurait autant d'impacts sociaux, anthropologiques, politiques et juridiques, jusqu'où va-t-on aller?»

Entre autres questions, elle souligne: qui pourrait s'offrir un tel utérus, qu'adviendrait-il d'une génération d'individus qui n'aurait pas les mêmes «conditions d'entrée» que la majorité, jusqu'où irait-on dans le contrôle de la qualité du foetus? Et puis, surtout, quel avenir pour ces enfants dont les paramètres de l'existence auraient ainsi été contrôlés?

«Oui, l'utérus artificiel est plein de promesses, résume Sylvie Martin. Mais est-ce qu'au nom des bienfaits promis, on ne peut plus dire non à rien?»

Le désenfantement du monde, utérus artificiel et effacement du corps maternel, Sylvie Martin, Liber, 207 p.