Alors que nous plongeons avec délectation dans nos lectures d'été, que font les auteurs pendant la saison chaude? Kim Thúy, qui a connu un succès fulgurant cette année avec Ru, son premier roman, raconte comment elle gère le succès et son quotidien de mère, tout en s'attaquant à la rédaction de son prochain livre. Et elle dresse une liste de ceux qu'elle a l'intention de lire cet été.

«Je commence à comprendre les auteurs qui partent en retraite quelques semaines pour écrire.» Kim Thúy a écrit la majeure partie de Ru le soir, de 23h à 2h, quand les enfants étaient couchés, la vaisselle lavée et la maison rangée. C'est que sa vie de mère prend jusqu'à 95% de son temps et de son espace mental, explique-t-elle. Avec le succès inattendu du livre - elle a remporté le prix RTL-Lire au Salon du livre de Paris en mars dernier et est depuis sollicitée de toute part -, la fenêtre consacrée à l'écriture est encore plus petite.

«Je commence à écrire à 23h, comme avant, mais je suis tellement fatiguée, je m'endors sur mon clavier d'ordinateur à minuit!» Son deuxième roman est déjà commencé, puisqu'il est fait en partie d'éléments qui n'ont pas été utilisés dans Ru. Mais il lui reste la partie essentielle, celle qui lui demande le plus de temps et de boulot: l'élagage, le «dégraissage» comme elle dit, qui donne à son écriture si fine et si délicate une apparence de grande simplicité. «C'est comme lorsque je reçois, rien ne doit traîner dans la cuisine quand je fais le service. Le travail ne doit pas paraître.»

Chaque fois qu'elle reprend l'écriture, elle relit tout ce qu'elle a déjà fait, pour que le récit semble avoir été tracé «d'un seul coup de pinceau», raconte-t-elle, décrivant son ton comme «silencieux». Le matériau de base, lui, est souvent écrit d'un coup, comme guidé de l'extérieur. «Je pense sincèrement que les mots passent, qu'ils sortent du corps.»

C'est ce qui lui est arrivé récemment pour un texte commandé par Les Impatients, qu'elle a couché sur papier d'un seul jet, dans le noir, pendant un spectacle du trompettiste jazz Roy Hargrove. «C'était tellement beau!» Kim Thúy est ainsi faite, très spontanée, mais on sent toujours, tout près, la sagesse inculquée par la vie, ses parents et ses origines, celles de la petite fille née à Saigon, prise dans les méandres de l'histoire, qui a fait partie des boat people et qui n'a rien oublié, ni le camp de réfugié en Malaisie, ni la traversée au fond d'un bateau, ni son arrivée à Granby à l'âge de 10 ans.

Pas de saison

Pour Kim Thúy, l'été ne représente pas un moment en particulier qu'on attend toute l'année, puisqu'elle vient du Vietnam, pays «où il n'y a pas de saison». Et, peut-être parce qu'elle est arrivée au Québec en hiver, c'est plutôt la saison froide qui représente pour elle le recommencement, la virginité. «De toute façon, j'aime toutes les saisons», lance-t-elle en décrivant les couleurs magnifiques de l'érable de son voisin à l'automne, sa tournée annuelle des magnolias en fleurs au printemps... Ainsi, Kim Thúy ne lit pas davantage l'été que pendant les autres saisons. «Je lis tout le temps, mais je ne finis pas tout ce que je commence. Si je n'aime pas ça, j'arrête.Je n'ai pas assez de temps et il y a trop de livres à lire.»

Elle a encore moins de temps libre maintenant: depuis son passage remarqué à Paris, le tourbillon médiatique l'a emportée. Du Salon du livre de Val-d'Or à une séance de signature dans une librairie française, Kim Thúy est partout et a de la difficulté à dire non. Les mois d'été sont tout de même un peu plus tranquilles. Elle sera toutefois aux Correspondances d'Eastman au mois d'août: un bonheur, dit-elle en souriant, «parler de littérature et n'avoir que ça à faire». Mais l'automne sera assurément chargé, puisque Ru sera lancé en Allemagne, en Italie et en Espagne.

Dans les prochaines semaines, elle devrait donc trouver du temps pour écrire, quand les enfants ne seront pas à la maison. Et elle a très hâte. Elle pourra aussi le faire au grand jour, sans se cacher, car le syndrome de l'imposteur n'est jamais loin avec Kim Thúy, qui est à la fois étonnée et fière de ce qui lui arrive. «Mais maintenant, je peux justifier le temps que je prends pour écrire.» À 41 ans, celle qui a connu plusieurs vies - traductrice, avocate, restauratrice, entre autres - s'installe dans celle-ci avec confiance. «Chaque pas nous mène quelque part. Ma mère me dit souvent qu'à chaque étape, on recueille un panier de connaissances. Il faut donc en avoir un gros pour tout recevoir, et savoir saisir sa chance au moment où elle passe.» Le panier de Kim Thúy est, à n'en pas douter, rempli au ras bord.

Ru, Kim Thúy, Libre Expression, 192 pages.

Les suggestions de Kim Thúy

Kim Thúy lit souvent de front plusieurs livres à la fois. Elle nous en propose quelques-uns, qu'elle vient tout juste de commencer... et qu'elle a l'intention de lire jusqu'au bout.

Amours en fuite, de Bernhard Schlink

«J'aime beaucoup la culture allemande. J'avais lu Le liseur, j'étais peut-être trop jeune pour vraiment apprécier, de toute manière, je n'avais jamais rien relu de cet auteur par la suite. Je suis tombée sur ce livre récemment, j'ai trouvé le titre beau, et sa description aussi. Ce roman raconte sept histoires d'amour, et comment on peut mettre en jeu une vie entière avec une histoire d'amour.»

Ces impossibles Français, Louis-Bernard Robitaille

«Je l'ai acheté parce que j'ai rencontré Louis-Bernard Robitaille en France, pour une entrevue pour La Presse. Dès la première page, j'ai aimé. C'est bien écrit et plein d'information. Ça met en lumière deux cultures, la française et la nord-américaine, et c'est passionnant. Ça se lit bien l'été parce que c'est comme lire une série de chroniques.»

Une rencontre, Milan Kundera

«Ce livre est un cadeau du ciel car il fait le lien entre plusieurs domaines. Chaque chapitre est une réflexion sur l'art ou sur un artiste, comme Francis Bacon ou Philip Roth. J'aime ça parce que j'apprends beaucoup de lui et qu'il nous oblige à réfléchir.C'est aussi un raccourci pour apprendre beaucoup sur beaucoup de choses!»