Les tests génétiques ont révolutionné la fertilisation en éprouvette. Il est maintenant possible de concevoir un bébé dont le cordon ombilical sera génétiquement compatible avec une grande soeur ou un grand frère qui a besoin d'un don de cellules souches à cause d'une maladie grave. Les éthiciens se demandent si on a le droit d'instrumentaliser ainsi la vie. Hollywood s'est emparé cet été du thème des «bébés-médicaments» avec un film inspiré d'un fait réel mettant en vedette Cameron Diaz.

On les appelle les bébés-médicaments. Ils ont été conçus en éprouvette au terme d'un processus de sélection d'embryons, afin qu'ils aient la meilleure compatibilité génétique possible avec une soeur ou un frère plus âgé atteint d'une maladie grave de la moelle osseuse. Quand ils naissent, les cellules de leur cordon ombilical sont immédiatement inoculées à l'enfant malade pour reconstituer une moelle saine.

 

Cette pratique controversée est née aux États-Unis il y a une dizaine d'années et a depuis été discutée, interdite puis approuvée en France et au Royaume-Uni. Elle est arrivée cet été dans les cinémas avec My Sister's Keeper, un film de Nick Cassavetes mettant en vedette Cameron Diaz. Basé sur le roman éponyme publié en 2004 par la romancière américaine Jodi Picoult, lui-même inspiré par des faits réels, le film relate l'histoire d'un bébé-médicament qui, à 12 ans, après avoir donné du sang et de la moelle osseuse à sa grande soeur malade, poursuit ses parents pour éviter qu'ils ne l'obligent à lui donner un rein.

Le vrai bébé-médicament, qui s'appelle Adam Nash, n'a donné que son cordon ombilical à sa grande soeur, Molly Nash. Cette dernière, qui a maintenant 14 ans (Adam en a 9), était atteinte d'une leucémie grave qui nécessitait la destruction des cellules de sa moelle osseuse pour les remplacer par les cellules saines tirées du cordon ombilical de son petit frère. Leurs parents, qui habitent Denver, avaient même organisé une cérémonie religieuse autour du don d'Adam à sa soeur. Adam avait été conçu en éprouvette, après un processus de sélection consistant à prélever quelques cellules de plusieurs embryons, pour déterminer quel était l'embryon le plus compatible avec Molly aux points de vue génétique et immunologique.

L'instrumentalisation est de toute façon bien relative, selon Bryn Williams-Jones, philosophe bioéthicien au département de médecine sociale et préventive de l'Université de Montréal. «On ne fait jamais d'enfant strictement par altruisme, dit-il. On peut vouloir un enfant pour des motifs purement égoïstes. Pourquoi alors interdire la naissance d'un enfant qui sauvera une vie? Il n'y a pas de raison qu'il soit moins aimé simplement parce qu'il a été l'instrument de la guérison d'un autre enfant.»

Au Canada

Il n'y a jamais eu de bébé-médicament au Canada, dit M. Williams-Jones. «Il y a eu beaucoup de débats sur le sujet en Grande-Bretagne, il y a une dizaine d'années, parce que des parents étaient obligés d'aller aux États-Unis pour recourir à cette méthode. Finalement, les autorités médicales britanniques l'ont permise.»

Selon Angela Campbell, professeure de droit à l'Université McGill, on pourrait invoquer la Loi fédérale sur la procréation assistée tant pour interdire le recours aux bébés-médicaments que pour l'autoriser. «La loi ne parle pas de tests génétiques préimplantation, sauf pour décourager les tests sur le sexe, dit Me Campbell. On pourrait considérer que cette précision signifie que les autres tests génétiques sont aussi découragés, ou alors estimer que ce qui n'est pas interdit est permis.»

Le gouvernement fédéral va probablement préciser quels tests génétiques sont permis et lesquels sont interdits dans le cadre de la mise en application de la Loi sur la procréation assistée, indique Julie Cousineau, du Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal. «Il est certain qu'il y aura des précisions pour éviter que l'on tombe dans l'eugénisme», dit Me Cousineau. Pour le moment, le gouvernement du Québec conteste la loi fédérale pour une question de compétence. La Cour d'appel a donné raison au Québec, et le dossier est devant la Cour suprême.

Santé Canada a fait des consultations il y a quelques années sur la question des bébés-médicaments, mais le conflit de compétences avec le Québec a forcé le report de la publication du résultat de ces consultations, selon Me Cousineau. La Société européenne de reproduction humaine et d'embryologie a déjà réfléchi à la question et a proposé que les parents ne soient autorisés à faire un bébé-médicament que s'ils avaient déjà le projet d'avoir un autre enfant. Me Cousineau note toutefois que cela est difficile à déterminer.

Un bébé-médicament pourrait-il poursuivre ses parents pour ne pas avoir à donner de moelle osseuse en cas de rechute de la leucémie de son grand frère ou de sa grande soeur, comme dans le film My Sister's Keeper? «Il y a eu au Québec le cas d'un enfant de 5 ans qui avait peur des aiguilles, dit Me Campbell, de l'Université McGill. Les médecins hésitaient à se servir de lui comme donneur de moelle osseuse pour un frère. La Cour a décidé que les parents pouvaient prendre la décision pour l'enfant parce qu'il n'était pas en mesure d'évaluer les conséquences de son refus de donner de sa moelle. On peut aussi faire le parallèle avec les jugements qui ont obligé des adolescents membres des témoins de Jéhovah à subir une transfusion sanguine parce qu'ils n'étaient pas assez mûrs pour comprendre les conséquences de leur refus.»

 

Donner dans la fratrie

Selon une étude américaine, les enfants qui donnent de la moelle osseuse à un frère ou à une soeur malade souffriraient d'anxiété et auraient des problèmes d'estime de soi. Par contre, les enfants qui ont reçu une greffe de moelle d'un donneur à l'extérieur de la famille auraient plus de problèmes à l'école. Ces résultats préliminaires ont poussé l'Institut national du cancer des États-Unis à demander des études à long terme sur l'impact psychologique du don de moelle à l'intérieur de la fratrie. Les autres formes de dons sont aussi à l'étude: une étude auprès de 170 médecins qui font des greffes de rein pédiatriques montre que 61% d'entre eux refuseraient qu'un mineur donne un rein à un frère ou à une soeur, de crainte que leurs parents ne sous-estiment les risques pour le donneur.