Qu'elles soient positives ou négatives, les paroles d'une mère ont de l'influence. Elles sont des sources de réconfort et de motivation, mais elles peuvent aussi blesser, voire polluer une relation entre une mère et ses enfants. En cette fête des Mères, nous nous attardons au poids de leurs mots.

Un soir de fatigue, sans réfléchir, la phrase nous échappe: «Je ne suis pas ta copine. J'aurais préféré un garçon. Tu ne peux pas ressembler davantage à ta soeur?»

 

Dans un tout nouveau livre, Entre mères et filles, les mots qui tuent, publié chez Flammarion, la spécialiste du décryptage verbal Caroline Messinger, coauteure et femme du prolifique psychologue français Joseph Messinger, a répertorié une centaine de phrases du genre, assassines, quoique prononcées la plupart du temps innocemment, qui ont le don de polluer une relation.

Objectif? Faire prendre conscience aux mamans du poids de leurs paroles et, surtout, leur proposer des pistes pour les nuancer.

«Bien sûr, le but n'est pas d'atteindre la perfection, de gommer nos paroles pour avoir un discours parfait, nuance-t-elle en entrevue. Nous sommes toutes imparfaites. Heureusement. L'enfant doit savoir que nous avons le droit de nous mettre en colère. Cela dit, il faut avoir conscience que nos mots peuvent être nocifs.»

Les mères seraient tout particulièrement cinglantes face à leurs filles. Car outre le premier émerveillement, «la plupart du temps», la fillette finit par incarner, inconsciemment, «le prolongement de la mère». «Quelque part, la fille représente la deuxième chance de la mère.» Or, évidemment, elle n'est pas un prolongement de sa mère. Elle ne réalisera pas nécessairement non plus là où sa mère a échoué. Ne lui en déplaise. Résultat: «Tout s'effondre pour la mère.» D'où les conflits.

Caroline Allard, alias Mère indigne, n'a jamais senti que sa mère faisait de la projection sur sa personne. Au contraire. Elle a toujours fait preuve d'une grande lucidité. La blogueuse se souvient encore quand, alors qu'elle était gamine et rêvait de devenir patineuse artistique, sa mère lui avait avoué la triste vérité: «Tu n'es pas très gracieuse, chérie.» «Sur le coup, ça m'a ébranlée. Mais ça m'a ramené les deux patins sur la glace...» À l'adolescence, il y a certes eu des conflits («j'étais assez tête de cochon»), mais tout est rentré dans l'ordre dans la vingtaine. Du coup, loin de vouloir se distancer, elle espère incarner, à l'instar de sa mère, une source de «réconfort et de lucidité» auprès de ses propres filles. Elle lui a d'ailleurs déjà volé quelques expressions («chez les autres, c'est chez les autres; chez nous, c'est chez nous»). «Mais je suis devenue une mère indigne, alors elle a dû faire quelque chose de pas correct quand même...» glisse la blogueuse à la blague.

N'empêche. Pour écrire son livre, Caroline Messinger a fait un appel à tous (toutes) sur le site de santé Doctissimo. Elle a invité mères et filles à lui transmettre les mots ou les phrases qui ont pollué leur relation. «J'ai été submergée de témoignages», dit-elle. En deux mois, plus de 300 femmes se sont manifestées. Parmi les phrases les plus souvent enregistrées, l'incontournable «je suis ta mère, pas ta copine», des questions territoriales («c'est ta chambre, mais tu es dans ma maison»), beaucoup de références négatives face au petit copain («il n'est pas assez bien pour toi»), plusieurs références au look, à l'image ou au poids («arrête de manger comme ça»), ou encore à la sexualité («ton frère ne m'en fait pas voir autant que toi»).

À leur décharge, les mères ne sont, «la plupart du temps», pas conscientes du pouvoir dévastateur de leurs mots. «La pollution vient du décalage entre la façon dont les choses sont exprimées, et celle dont elles sont reçues.» Mais bonne nouvelle, ce n'est pas irréparable, conclut Caroline Messinger. Il suffit de reconnaître le tort causé par nos paroles. Corriger le tir. S'excuser. Et voir à s'exprimer autrement.

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Phrases polluantes

«Je suis ta mère, pas ta copine»

Pollution Pourquoi le préciser? Est-ce parce que la mère ressent le besoin de réinvestir un statut, par ailleurs sous-investi?

Beaucoup de mères s'adressent à leurs enfants en parlant à la troisième personne, note Caroline Messinger, coauteure et spécialiste du décryptage verbal. «Maman va te mettre ton manteau. Maman va te préparer ton goûter.» Coïncidence? Ce sont aussi ces mêmes mères qui, souvent, vont répéter «je suis ta mère, pas ta copine». Pourquoi se cacher derrière le statut de «maman» plutôt que d'affirmer haut et fort son «je» ?

Réparation Affirmer le «je» dans tous les contextes. Le respect de l'autorité s'impose de lui-même lorsque la mère s'affirme en tant qu'individu, et non en tant que statut.

«Fais-le pour papa»

Pollution La mère se cache ici derrière le père, pour affirmer une autorité qui manifestement lui fait défaut.

Réparation Il faut éviter de faire appel à une tierce personne pour affirmer son autorité. Imposez-vous et imposez vos arguments.

«Tu es chez moi, c'est moi qui fixe les règles»

Pollution Cela sous-entend que l'enfant est l'hôte du parent, un invité, qu'il n'est pas chez lui.

Réparation Il faut faire passer le message autrement. Par exemple: oui, c'est ton territoire, mais tu dois apprendre à le gérer. Nous vivons tous en société, la famille est une microsociété, il y a donc des règles à respecter. Le tout, afin de ne pas faire sentir à l'enfant qu'il est de trop dans la maison.

Source: Joseph et Caroline Messinger, Entre mères et filles, les mots qui tuent, Flammarion, 2009.