Cent cinquante-cinq mille cinq cent douze. C'est le nombre de personnes qui, au moment d'écrire ces lignes, s'étaient jointes au groupe «Hey Facebook, breastfeeding is not obscene».

Qui l'eût cru? Qu'une histoire, à l'origine isolée, de censure de photos d'une mère allaitante sur Facebook, provoquerait une telle levée de boucliers? Quelle est la dernière fois que vous avez vu 155 512 (pardon: 155 555) personnes revendiquer haut et fort le droit d'allaiter en public?Rappelons les faits. Tout a commencé en juin 2007. Une mère californienne, Kelli Roman, qui avait affiché une photo d'elle allaitant son enfant, reçoit un avis de Facebook. «Vous affichez du contenu qui viole nos conditions d'utilisation», le «code de conduite de l'utilisateur» interdisant de publier (....) sur le site un «contenu préjudiciable, menaçant, illégal, diffamatoire, non autorisé, abusif, injurieux, malveillant, vulgaire, obscène». On comprend que ce sein (soit dit en passant quasi inapparent) avait été perçu par d'autres utilisateurs comme «obscène». Facebook ne procède d'ailleurs pas à de la censure systématique, réagissant plutôt aux plaintes formulées par ses membres.

Pour protester, la mère a fondé un groupe (toujours sur Facebook) avec une amie, Stephanie Muir : le fameux Hey Facebook. Jusqu'à récemment, il ne comptait que quelques dizaines de membres. Or voilà que le mois dernier, les cofondatrices décident de créer un évènement virtuel: le 27 décembre, elles invitent leurs amis et autres internautes à changer la photo de leur profil par celle d'une mère qui allaite. C'est un succès: 11 000 membres embarquent.

«Nous vivons dans une culture qui a sexualisé la poitrine des femmes. Résultat: bien des gens ont du mal à concevoir que des seins aient plusieurs fonctions, explique Stephanie Muir, jointe à Ottawa. Mais tout cela est très hypocrite de la part de Facebook, qui laisse circuler du contenu bien plus offensant. Quel genre de message est-ce que tout cela envoie? Que l'allaitement est sale et inapproprié?»

Il n'a pas été possible d'avoir de réaction de Facebook, qui se borne à renvoyer sans cesse la même déclaration, selon laquelle certaines photos «violent nos règles et peuvent être retirées».

Ni Santé Canada ni l'Agence canadienne de santé publique, ni le ministère québécois de la Santé n'ont voulu commenter l'affaire non plus, Facebook étant un «organisme privé». Tous ont toutefois réitéré leurs recommandations, à savoir: un allaitement exclusif jusqu'à six mois.

À noter, si un nombre croissant de Canadiennes (87%, selon les dernières statistiques) choisissent d'allaiter, seules 16% persistent pendant les six mois prescrits. «Et toute cette stigmatisation a un impact négatif sur l'allaitement», s'inquiète Stephanie Muir.

Peut-être bien que non, finalement. C'est du moins ce que croit Élisabeth Pérès, agente d'information à la direction de la Santé publique, responsable du Défi allaitement. «Ils (Facebook) n'ont rien compris. Ils ne comprennent pas ce que c'est que l'allaitement, un geste normal et naturel, dit-elle. Tout ce que donne cette affaire, c'est 150 000 personnes qui ne parlent plus que d'allaitement.» Correction: 156 080.