La question est vaste. C'est peut-être une utopie de pays de riches. Une fois réglées les considérations de «base» - se nourrir, se vêtir, avoir un toit - surgit la grande interrogation existentielle: comment être heureux? Dans le cadre de la série radiophonique La soif de bonheur, diffusée depuis lundi dernier à la Première Chaîne de Radio-Canada, le journaliste Mario Proulx a invité des personnalités à envisager cet objet de convoitise collectif sous plusieurs angles.

Les interlocuteurs de Mario Proulx se sont aventurés hors du banal et de l'anecdotique. Pour ceux qui auraient raté la série, tout n'est pas perdu: un ouvrage inspiré de la série paraît ces jours-ci. Il regroupe des entretiens avec Christophe André, Christian Bobin, Alexandre Jardin, Boris Cyrulnik et Rose-Marie Charest, entre autres.

Dans la préface du livre La soif de bonheur, Mario Proulx suggère que notre monde de bonhommes sourires affiche peut-être des symptômes d'une dictature de la bonne humeur. «Ne sommes-nous pas en train de nous mettre trop de pression sur la nécessité d'être heureux?» avance-t-il.

Face à Mario Proulx, Frédérique Bedos, journaliste française et fondatrice du projet Imagine (une série de portraits de héros «ordinaires» - leprojetimagine.com), décrit des valeurs que lui ont transmises ses parents, qui ont élevé 18 enfants adoptés partout dans le monde. Dans une tout autre optique, l'auteur Christian Bobin se commet sur son aversion pour l'internet qui, selon lui, a tué le désir. À ses yeux, notre époque où il est désormais possible de commander en ligne des fraises sud-africaines, si l'envie nous en prend, est assassine pour l'âme.

L'écrivain et philosophe Pascal Bruckner prétend que la poursuite du bonheur est une nouvelle religion et même «le plus grand business qui soit». La marchandisation du bonheur rapporte. «Parce que cela touche la médecine, c'est-à-dire la pharmacie, les pilules, les anxiolytiques, les antidépresseurs. Cela touche la chirurgie, toute la chirurgie plastique.»

Rose-Marie Charest fait l'apologie de l'engagement, cette capacité à «s'investir dans quelque chose de plus grand que soi». La présidente de l'Ordre des psychologues du Québec suggère aussi que pour aspirer à l'harmonie, il faut abandonner la notion de performance. «Être en relation, ce n'est pas réussir à séduire telle personne qui a une si grande valeur. C'est plutôt être bien avec quelqu'un.»

Certaines prédispositions favorisent-elles le bonheur? L'athlète Chantal Petitclerc déclare avoir un «talent pour le bonheur», et trouve cela fort mystérieux. Boris Cyrulnik croit en l'existence de facteurs génétiques. «Il y a, parmi nous, des gens qui sécrètent beaucoup de substances euphorisantes: les endorphines, la sérotonine, etc.», écrit le spécialiste de la «résilience».

Serge Marquis (spécialiste du travail) perçoit le bonheur à travers la quête de sens, la nécessité des humains de se sentir utiles.

Alexandre Jardin, qui a récemment délaissé la fiction pour affronter son histoire familiale, associe le bonheur au courage.

Inné, cultivé, tombé du ciel, insaisissable ou illusoire, le bonheur est un long voyage. Si le chemin est aussi important que la destination, ceux qui savent décrire intelligemment les paysages rencontrés sont des guides précieux.