Des amas de vieux journaux jaunis, des piles de boîtes de pizza, des sacs de vêtements dispersés ici et là, un vieil ordinateur, des bibelots désuets et autres babioles ensevelissent les meubles d'une maison où l'air circule de peine et de misère.

Et sous les décombres, des rongeurs opportunistes hébergés aux frais de la princesse.

Voilà une scène typique de l'émission de téléréalité Hoarders, qui chaque semaine s'invite dans l'intimité chaotique de «ramasseurs» compulsifs.

J'adore cette émission. À mes yeux, Hoarders est un inhibiteur de consommation plus efficace que n'importe quel sermon sur la simplicité volontaire ou «journée sans achat». Moins d'une heure à constater le malheur de ces prisonniers des objets et, subitement, on a le goût de se désabonner d'eBay, d'organiser une vente-débarras et ne plus jamais mettre les pieds dans un magasin à grande surface.

Ce n'est pas que je sois minimaliste ou une stricte pratiquante du feng shui. J'aurais d'ailleurs du mal à comprimer la somme de mes avoirs dans une «tiny house» (ces micromaisons dont nous avons parlé mercredi). Relever le Défi 100 choses (c'est-à-dire, limiter la somme de ses possessions à 100 articles)? Bof.

Sauf qu'après deux décennies jalonnées de plusieurs déménagements et de quelques séjours à l'étranger, j'ai développé un goût pour la légèreté et une aversion pour l'accumulation.

Lors d'une entrevue avec la propriétaire au goût impeccable de l'une des auberges les plus prestigieuses du Canada, j'ai décidé d'adhérer le plus fidèlement possible au principe suivant: ne rien acheter de neuf, à part des oeuvres d'art (et des sous-vêtements, il va sans dire). Et peu de séances de magasinage me procurent autant de satisfaction que mes visites bisannuelles au magasin Renaissance de mon quartier, où je me déleste de ce qui encombre mes 900 pi2.

«Sur le plan psychologique, il est très libérateur de se départir de toutes ces possessions inutiles qui encombrent notre vie», m'a récemment expliqué en entrevue téléphonique Jay Shafer, fondateur de la société Tumbleweed Company, qui vend des «tiny houses».

Bien d'accord. Renoncer à accumuler, collectionner, ramasser, c'est faire de l'espace mental et physique pour s'enrichir autrement qu'avec des objets. Le temps qu'on ne passe pas à dépoussiérer ses bibelots ou nettoyer son argenterie, on le récupère pour aller prendre l'air et se faire surprendre par un «flash mob» (https://vimeo.com/29298624).

Dans 50 ans, quand les sociologues se pencheront sur le phénomène des «ramasseurs» compulsifs, sur l'architecture des magasins à grande surface et, en contrepartie, sur le refus radical de posséder des adeptes des «tiny houses», quelles hypothèses et conclusions seront faites sur le rapport aux objets au début des années 2000 et l'apport des choses au bonheur personnel?

J'ai trouvé un début de réponse sur le site The Story of Stuff (storyofstuff.com), où l'on trouve un petit clip narré par Annie Leonard qui, pendant 10 ans, a parcouru la planète pour mieux comprendre la chaîne de production nécessaire à l'entretien de notre amour des babioles. En somme, on y apprend que cette dépendance à l'accumulation de choses pas chères se traduit en un mot: toxique. Annie Leonard illustre aussi comment, en quelque sorte, nous avons été programmés pour devenir des «ramasseurs», en citant l'analyste de marché Victor LeBeau qui, après la Seconde Guerre mondiale, a suggéré la méthode suivante pour redresser l'économie et redéfinir la quête de sens des Américains: «Notre économie immensément productrice exige que nous fassions de la consommation un mode de vie, que nous fassions de l'achat et de l'usage des choses un rituel, que nous trouvions la satisfaction spirituelle et celle de l'ego dans la consommation... Nous devons consommer et brûler les choses, et les remplacer à un rythme de plus en plus accéléré.»