Longtemps diabolisé, le désir féminin n'est plus opprimé, mais glorifié. Du moins, en Occident. Dans la foulée des luttes féministes, la femme a réfléchi à sa place dans la société, mais aussi au lit. Le désir, davantage exprimé et mieux vécu, fait désormais partie intégrante d'une bonne santé sexuelle. Mais quand il s'absente ou ne se fait pas audacieux, c'est la panique. La dictature de la «jouissance à tout prix» aurait-elle succédé à la morale d'antan?

Les femmes osent aujourd'hui parler sexualité et avoir la cuisse légère sans culpabilité. En bonne santé, le désir féminin? Oui, mais un peu essoufflé. Selon un sondage Segma/La Presse, la grande majorité des femmes, soit 88%, se déclarent satisfaites de leur vie sexuelle.

Au total, 43% des répondantes se disent «assez satisfaites» et 45% sont «très satisfaites». Chez les 25 à 34 ans, la proportion de femmes «très satisfaites» grimpe à 65%. Les femmes au travail et en couple se déclarent plus souvent «très satisfaites» de leur sexualité que la moyenne. Se déclarent «insatisfaites» 7% des répondantes, dont 3% qui se disent «pas du tout satisfaites».

«Les femmes se donnent maintenant la permission de désirer et d'exprimer du désir. Avec le mouvement féministe, on a amené les femmes à se responsabiliser et à se donner les mêmes droits que les hommes, affirme la sexologue clinicienne Geneviève Parent, qui enseigne au département de sexologie de l'UQAM. Les femmes sont plus conscientes de leur corps, elles se donnent aujourd'hui la possibilité de se masturber, de fantasmer et de regarder du matériel érotique. Tout ça fait qu'elles sont beaucoup plus épanouies qu'elles ne pouvaient l'être avant.»

La quasi-totalité des femmes (91%) affirment d'ailleurs être à l'aise de discuter de leur sexualité avec leur partenaire, 52% sont «totalement à l'aise». Si les femmes de 25 à 44 ans semblent plus ouvertes - 65% sont «totalement à l'aise! -, les femmes de 65 ans et plus le sont beaucoup moins. À peine 36% de celles-ci se déclarent «totalement à l'aise». Au total, 4% des répondantes ne sont pas à l'aise de discuter de sexualité.

«Une fille de 20 ans peut parler plus facilement de sexualité, mais une femme de 50 ans peut avoir des pratiques qui feraient rougir sa mère, sans oser en parler», relativise le Dr Sylvain Mimoun, gynécologue-andrologue français et auteur de Ce que les femmes préfèrent, disponible au Québec depuis novembre 2008. «Les femmes consultent beaucoup plus. Elles osent se prendre en main, c'est très très nouveau. Ça a du bon et du mauvais. Quand il y a un changement de mentalité, il y a toujours des excès. Une petite partie des femmes se font revendicatrices. Certaines consultent parce qu'elles n'ont pas d'orgasme à chaque fois!»

Des obstacles au désir

Tout va bien sous la couette? Pas toujours. Selon une récente enquête française, 95% des femmes connaissent un jour une baisse de désir, temporaire ou durable. «Les femmes qui éprouvent une baisse de désir se comptent par millions seulement en Amérique du Nord. C'est un problème chez 10% à 30%; certaines n'ont même jamais connu le désir», indique Jim Pfaus, professeur au département de psychologie de l'Université Concordia et chercheur en neurobiologie comportementale. Des facteurs personnels, contextuels ou de couple peuvent en être responsables.

Selon le sondage de Segma/La Presse, la fatigue apparaît comme le principal frein à une sexualité satisfaisante pour les femmes actives sur le marché du travail, les 35 à 44 ans et celles qui gagnent 90 000$ et plus par année. Au total, 26% des répondantes accusent la fatigue; 19% ciblent plutôt le manque de temps et 10% le manque d'intérêt. Pour 23% des répondantes, l'incompatibilité du partenaire est le principal obstacle à une sexualité satisfaisante, surtout chez les 18 à 24 ans et celles qui n'ont pas d'enfant.

«Le problème, c'est que beaucoup de femmes voient la sexualité comme une performance. Comme si elles devraient courir un marathon, dit Geneviève Parent, auteure de L'intimité harmonieuse. Si elles sont fatiguées et qu'elles ne peuvent se conformer à certains standards, elles évitent tout simplement les rapports sexuels. La relation sexuelle est aussi un endroit où on peut se sentir bien, sans devoir obtenir une note de 10 sur 10!»

«Les femmes sont encore les plus pauvres, les plus violentées, les plus nombreuses à subir les agressions sexuelles. Ce sont surtout elles qui s'occupent des enfants et des parents en perte d'autonomie, explique Lydya Assayaq, directrice du Réseau québécois d'action pour la santé des femmes. Comment voulez-vous qu'elles soient toujours sur le piton? Si on améliore leurs conditions, ça va assurément s'améliorer dans la chambre à coucher.»

Dictature du plaisir

Plusieurs femmes disent qu'il leur arrive rarement (33%), souvent (8%) ou tout le temps (1%) de faire l'amour sans désir. Certaines y prennent goût dans le feu de l'action, d'autres pas. «La sexualité est aujourd'hui réduite à sa mécanique, soutient Lydya Assayaq. Avec la banalisation de la pornographie, on voit apparaître la notion du jouir sans désir. Ces nouveaux modèles ne correspondent pas à toutes. Est-ce pour cela qu'on parle de plus en plus de dysfonctions sexuelles?»

Le Dr Sylvain Mimoun parle d'une dictature du plaisir. «On a l'illusion que toutes les femmes du monde s'éclatent du matin au soir et que c'est normal d'avoir envie de faire l'amour tout le temps, d'avoir toujours beaucoup de plaisir. Ça crée une pression. On doit plutôt trouver son propre point de repère.»

Les échanges de couple et les «trips à trois» ne sont pas la norme, souligne Geneviève Parent. «Il faut relativiser les témoignages croustillants dans les médias.» Dans cet ordre d'idée, 99% des répondantes du sondage Segma/La Presse estiment que la fidélité est une valeur importante dans le couple.

«J'aurais tendance à dire que le désir féminin se porte bien malgré tout. Des grands pas ont été faits pour la sexualité des femmes, mais il y a encore un bon bout de chemin à faire. Les femmes devraient être capables plus jeunes d'avoir une vision génitale et affective de la sexualité et penser davantage à leur propre plaisir plutôt que de vouloir plaire», estime la sexologue.

«C'est en train de changer. De plus en plus de jeunes femmes adoptent des comportements sexuels dits masculins et prennent en charge leur plaisir. Et si le désir féminin n'était pas si différent du désir masculin? La sexualité est très importante dans la vie d'une personne. Elle procure plaisir intime, bonheur et estime de soi. Elle compte parmi les cinq premières choses qui rendent les gens heureux. C'est vrai pour les hommes et pour les femmes», conclut Jim Pfaus.

Et vous, les gars, ça va?