Nouvelle tendance en restauration: les comptoirs qui, autrefois, servaient de la tambouille populaire au rythme d'un hot- dog à la minute se reconvertissent peu à peu en casse-croûte chic pour bohémiens friqués. Entendez: exactement le genre de population qui s'est établie sur le Plateau depuis une dizaine d'années.

Pourquoi de bons chefs qui jouissent d'une réputation enviable font-ils le changement? Sans doute pour des raisons financières: loyers moins élevés et envie des chefs d'avoir une vie normale. C'est peut-être ce qui a motivé Tri Du, ancien chef du Koji's Kaizen et du restaurant Le Petit Tri House, sur le boulevard Saint-Laurent, à aller dans ce sens. Car celui qui a soulevé l'enthousiasme par sa rigueur, son sens de l'invention, son audace à faire intervenir des parfums puissants de l'Asie du Sud dans la gracieuse et très classique cuisine de sushi nipponne, officie maintenant dans un ancien snack-bar. Revampé en guinguette urbaine, loin du dépouillement clinique habituel, avec un ancien retable d'église pour supporter le bar, des boiseries, un meuble rempli de théières et des tasses en céramique japonaise, le lieu fait un clin d'oeil à l'exotisme sans tomber dans le clinquant.

Contrairement à la discrétion absolue de mise avec la cuisine japonaise en général, ce Tri Express s'ouvre sur la rue par de larges fenêtres à la vue de tous les passants, médusés de voir la petite douzaine de clients piocher avec les baguettes dans des plats de riz.

Sur son menu de facture plutôt zen, Tri propose une liste des spécialités qu'il établit en fonction de la saison et de son inspiration. À titre d'exemple, la formule Omakase, en trois déclinaisons, exige du client qu'il se laisse aller à l'inspiration du chef, qui lui prépare de deux à cinq services selon son humeur. Autour de cette idée, souvent à risque, on commence par quelques tranches très fines d'un saumon mariné, malgré tout d'une bonne délicatesse, emporté par une sauce soja aromatisée où l'on ne détecte aucune dissonance. Ni dans l'assiette toute blanche sur laquelle il est présenté. Ni dans le thé genmaicha au riz grillé qui l'accompagne. Des détails qui comptent quand on mange du poisson cru.

On continue avec une assiette de maki de saumon impeccablement frais entourant le riz plutôt que la feuille de nori, où la chair du même saumon est mêlée à une sorte de mayonnaise qui lui donne un goût marqué. Le troisième plat est une autre assiette de makis, mais cette fois enroulés dans des feuilles très fines de concombre et piqués d'une fine tranche de mangue bien mûre et d'une julienne de concombre qui en masque un peu le côté azoté. C'est une curieuse composition mais tout à fait tonique.

La suite est dans un registre chaud: une tranche de vivaneau à peine poêlée, couverte d'un peu de chair de homard et nappée d'un mélange crémeux, sorte de mayonnaise passée à la salamandre quelques instants pour gratiner. Une giclée de jus de soja et l'on sert sur une belle assiette. Nous pourrions dire de ce plat qu'il incarne une sorte d'idéal dans la cuisine japonaise: fugace mais odorant et sensuel.

On termine avec un plateau en bois couvert de rouleaux teka-maki classiques, enroulés quelques secondes auparavant dans une feuille d'algue. Il y en a au thon et au saumon (même si les Japonais servent rarement ce poisson cru), des ura-maki (les rouleaux renversés, où le riz est à l'extérieur et l'algue au centre) et des nigiri de crevettes et de saumon (encore!), qu'on appelle "sashimi" par erreur, car ils sont servis sur du riz. Ils sont sans faille, c'est un moment d'apesanteur tant ils sont délicats.

Car l'art du sushi, c'est avant tout dans la coupe des poissons et dans leur absolue fraîcheur. Ils sont presque vivants quelques minutes avant de s'échouer sur votre assiette. C'est aussi la raison pour laquelle la bonne réputation d'un chef est indispensable. Et pourquoi on lui reste fidèle.

Tri Express

1650 rue Laurier Est

Montréal

(514)-528-5641

>Prix : une moyenne de 5-7 pour les makis (de 3 à 5 morceaux). Les menus Omakase pour deux, à partir de 20 à 40 et c'est généreux. À deux, comptez environ 90 au maximum.

>Faune : Parfaite, bien habillée, bavarde, la mine rose, elle arrive à pied ou en BMW.

>Genre : Bistro de poche avec quatre tables, quelques tabourets autour du bar. Impératif de réserver si l'on ne veut pas être déçu ou pire, faire la queue.

>Service : Vite débordé s'il y a du monde. Autrement, tout à fait sympa.

>Vin : Il n'y aura pas de permis d'alcool, puisqu'on n'est pas dans un resto mais bien à un comptoir. En revanche on sert du très bon thé pour accompagner ces petites chairs marines.

+ La formule " take-out " qui permet d'éviter les foules.

- Certains serveurs ne parlent ni ne comprennent le français... en plein Plateau ! Décevant.