Emilie Villeneuve et Olivier Blouin sont de fines gueules. Aussi la cuisine de casse-croûte n'était-elle pas la motivation première du livre Moutarde chou. Les deux complices souhaitaient avant tout rendre hommage aux gens qui tiennent ces joyaux en voie de disparition, à leur coin de pays et à leurs histoires. Les découvertes culinaires qu'ils ont faites en cours de route n'en furent que plus agréables et surprenantes.

Entre le feu vert de l'éditeur et la parution du chouette ouvrage, une année s'est écoulée: «7000 km, 200 heures d'entrevues, 10 000 clichés...», peut-on lire dans l'introduction. De leurs virées aux quatre coins du Québec, Emilie Villeneuve et Olivier Blouin ont tiré 32 «hommages» et autant de recettes. «Celles-ci sont plutôt anecdotiques», prévient la journaliste. N'empêche qu'elles constituent de précieux documents, voire des «preuves» d'une certaine manière de cuisiner au Québec. Ici, on ne s'excuse pas d'utiliser de la sauce barbecue du commerce, du Jell-O, de la vinaigrette Kraft, du Velveeta et même de la sauce à poutine en poudre.

La collecte d'information n'a pas toujours coulé de source. Il arrivait que le premier contact (téléphonique) soit difficile. «Certaines personnes étaient méfiantes. Elles se demandaient pourquoi on s'intéressait à elles. Elles pensaient qu'on voulait peut-être ouvrir un casse-croûte ou qu'on était du gouvernement. Mais lorsqu'on repartait, c'était avec les larmes aux yeux, en se serrant dans les bras.»

Il faut dire que des histoires touchantes, Moutarde chou en est farci. Derrière la mythique mini-chaîne Dic Ann's, il y a une grande histoire d'amour. Derrière l'ouverture de Chez Morasse, à Rouyn-Noranda, en 1969, la mort d'un enfant de 5 ans. Des vies à trimer dur, des rêves réalisés ou brisés, du patrimoine familial passé de génération en génération.

«Olivier et moi, on arrivait pleins de candeur avec nos questions: «Mais pourquoi vous enfermez-vous dans une petite cabane par 42° pour faire de la friture?» Ils nous regardaient comme si on était complètement innocents et répondaient: «Ben, parce qu'il faut que je nourrisse ma famille!»»

Fille d'une prof de cuisine et nièce de la copropriétaire du Toqué! , Emilie était plus habituée aux nappes blanches qu'aux serviettes de papier maculées de graisse de patate. En travaillant à Moutarde chou, elle a découvert que ce qu'on qualifie souvent de fast food mériterait d'être dégusté avec un peu plus de cérémonie.

«Des frites maison, une fois qu'on en mange, ce n'est plus du fast food. Éplucher, couper, blanchir, puis frire les patates, ça prend un temps fou. Il y a aussi trois casse-croûte dont on parle dans le livre qui passent eux-mêmes la viande fraîche à la moulinette chaque jour. Un d'entre eux va jusqu'à utiliser de la viande sans antibiotiques.»

La gastronome est tombée sous le charme du hot-dog Michigan, qui lui était tout à fait inconnu. Elle a également travaillé à sa relation un peu distante avec la poutine - elle n'en avait mangé que trois ou quatre fois dans sa vie.

Olivier, le «visuel», n'en est pour sa part tout simplement pas revenu de l'aspect «rabouté» de quelques-unes des bicoques visitées. Le dénominateur commun? «Le design le plus standard possible, les matériaux les plus abordables et les plus faciles à trouver sur le marché. Ils ne se cassent pas la tête! explique le photographe-designer, qui travaille pour l'agence Saucier + Perrote Architectes. C'est même arrivé une fois ou deux qu'on veuille laisser tomber parce que, au premier abord, l'endroit était vraiment trop peu inspirant visuellement. Mais les gens étaient tellement accueillants et attachants qu'on finissait toujours par être gagnés.»

Au terme de l'exercice, les auteurs ont-ils trouvé la fameuse «meilleure poutine du Québec» ? Hélas non! Impossible de trancher. Mais avec les frites du Casse-croûte du Connaisseur, à Tadoussac, la sauce de Chez Cathy, à Rivière-au-Renard, et le fromage de la fromagerie La vache à Maillotte, servi au casse-croûte Chez Morasse, à Rouyn-Noranda, on serait pas mal près de la perfection!

Moutarde chou, d'Emilie Villeneuve et Olivier Blouin, éd. Cardinal, 224 p., 26,95$.