La crêpe a pratiquement disparu de la ville. Et c'est bien dommage, car elle occupe une place unique dans notre histoire gourmande.

C'est vrai, nous ne l'avons pas toujours respectée. Nous avons remplacé certains de ses ingrédients; nous lui avons préféré ces galettes épaisses et bien américaines, les pancakes, nappées de beurre et arrosées de sirop d'érable ou, pire encore, de sirop de poteau industriel.

 

Même le cidre, qui lui allait si bien, s'est fait indigeste et Grand Sec d'Orléans. La pauvre crêpe est devenue obèse et diabétique! Or, chaque fois qu'on la retrouvait mince et glabre, elle nous faisait sourire. Et on en prenait bien deux fois, en salé puis en sucré.

Montréal comptait des dizaines de crêperies bretonnes à la fin des années 70. Il en reste trois ou quatre dont celle-ci, ouverte depuis maintenant 50 ans. Aller à la crêperie Ty-Breiz, c'est comme faire un voyage dans le temps.

L'endroit doit satisfaire un besoin de nostalgie puisqu'il est toujours plein et que tout le monde affiche un grand sourire dès qu'il passe la porte. Les gens badinent en attendant leur table et avant d'accrocher leur manteau à une patère de bureau de médecin. On se demande bien pourquoi, tiens! Il n'y a pourtant rien là qui puisse ravir les habitants du Plateau. Le décor est ringard, vieillot et légèrement cendreux. Comme le boudoir d'une vieille dame qui aurait oublié là son miroir à main et sa boîte à poudre.

Le restaurant est composé de deux salles, l'une dans un style qui rappelle bizarrement un bar western et l'autre, un amalgame entre une taverne et une cafétéria. Mais parfois, le kitsch absolu, quand il est spontané, a quelque chose de touchant, de gentiment pince-sans-rire.

La crêpe, c'est certes donc du déjà vu, du déjà mangé cent fois. Ici, on est dans le rustique bretonnant; toutes les garnitures sont prévisibles: fromage; oeufs; jambon; saucisses; béchamel à l'ancienne, épaisse, un brin farineuse; asperges trop cuites (et hors saison); champignons sautés et toutes les combinaisons imaginables de ce genre de farce.

Il n'y a aucun écueil ni aucun danger dans ce menu, si l'on s'en tient aux crêpes et qu'on abandonne les dizaines de suggestions d'une autre époque où toutes les cultures européennes se retrouvaient sur une même carte, de l'Espagne à l'Italie en passant par la Belgique et l'Islande. Le seul risque est que ce genre de resto soit évocateur de vos pires vacances au bord de la mer. Il ne manque que le boardwalk.

En un mot, prenez les crêpes. Elles sont bien faites et moites. La pâte est savoureuse, et délicate même en sarrasin, craquante sur les bords (car sans gluten) et le coeur fondant. Et tout ça se laisse manger sans effort. Les produits de garniture sont de qualité ordinaire, les sauces pas réellement travaillées. Tout cela aurait peut-être besoin d'un coup de fouet, mais ce n'est pas de la cuisine nouvelle; c'est même très ancien et pourtant, c'est ce qui fait son charme.

En dessert, nous prenons les crêpes à la farine de froment, l'une garnie de purée de marrons (en boîte, trop sucrée) et l'autre au nougat chocolaté. C'est vaguement écoeurant, un peu compact (c'est un euphémisme) et tout à fait satisfaisant quand on doit affronter le froid et le début de la semaine.

Finalement, c'est gentiment coquin, cet endroit. La cuisine se défend et touchera les sentimentaux pour qui il n'y a pas de plus beaux moments que ceux du passé, quand les portions étaient tout sauf homéopathiques, quand les parfums étaient ceux de l'enfance, quand la vaisselle rappelait celle de ma tante.

Ty-Breiz

933, rue Rachel Est 514-521-1444

Prix: vous vous en doutez, ce n'est pas bien cher. Disons autour de 10$ la galette, des entrées à environ 5$ et des crêpes desserts au même prix. Comptez environ 60$ tout compris, avec un demi-litre de cidre maison (local).

Faune: là, je suis perplexe. Il y a de tout, mais surtout de la faune locale, bien populaire, pas fringuée mode, pas pomponnée pour le Village ou la rue Crescent. Pas de cellulaire ni d'ordinateur, pas de drague ni de musique techno. Ça parlait la bouche pleine.

Service: il est vraiment super, celui-là. Des dames souriantes comme on n'en avait pas vu depuis longtemps dans ce métier.

Vin: vous n'allez tout de même pas prendre du vin dans une crêperie quand on propose du cidre? Et du bon en plus.

On y retourne? Peut-être, quand la nostalgie nous reprendra.

(+) La crêpe au sarrasin, nouvelle - ancienne - céréale des stars qui veulent de la fibre et des nutriments. En tout cas, ça donne du goût et de la tenue à une crêpe.

(-) C'est peut-être moi, mais l'idée de manger des paellas, des linguine ou des moules dans une crêperie m'effarouche un brin.