Bar & Boeuf, dont le nom est inspiré, nul doute, de l'une des nombreuses maisons d'Alain Ducasse (celle de Monte-Carlo pour ne pas la nommer), est une excellente nouvelle pour notre ville: on y fera un repas d'exception, vraiment, du début à la fin.

L'analogie Ducasse n'est peut-être pas aussi fortuite qu'on le croirait d'emblée. Oui, le Bar&Boeuf de Montréal est un resto chic, branché, un brin tape-à-l'oeil, surtout le cadre, avec juste ce qu'il faut d'attitude pour le rendre attrayant aux uns, insupportable aux autres. Mais le monde de la restauration est ainsi fait: il doit y en avoir pour tous les goûts, pensait Oscar Wilde. Du reste, il ajoutait qu'il valait mieux être beau que bon (et bon que laid!).

 

Cela dit, le Bar & Boeuf est un grand navire posé rue McGill comme un phare censé attirer les belles (et riches) personnes de ce quartier. Préférablement en affaires. Et préférablement accompagnées d'autres belles personnes (en talons hauts). La clientèle semble tout à fait à l'aise là-dedans: plafond trop haut, matières qui percutent, banquette capitonnée de cuir blanc, lustre rococo, tout y est. C'est la démesure un peu soyeuse, un peu voluptueuse.

Heureusement, la cuisine d'Alexandre Gosselin, que l'on a connu au Chalet puis au Local, reste dans le registre de la haute définition, une cuisine élégante, nerveuse, troussée par quelqu'un qui réfléchit et travaille l'assiette au millimètre, comme un horloger. La carte est faite de propositions réellement engageantes et un peu téméraires dans l'intitulé, limité à un seul thème, tomate, pétoncle, tartare, oeufs bénédictine. Mais les plats sont travaillés de façon presque futuriste, parfois avec une dose de rétro dans la présentation, parfois un accent pointilliste, ici et là une note étonnante, un angle imprévu.

Prenez les agnolotis faits maison farcis de purée de patates douces qu'on apporte en entrée; au demeurant, ça semble courant, comme dans l'air du moment. Mais voici le talent de Gosselin: métamorphoser des pâtes en petit chefs-d'oeuvre, ajouter une pointe de poudre de cinq-épices, quelques feuilles de sauge en infusion, des escargots. En un mot, faire correspondre des ingrédients dissemblables, les unir dans une harmonieuse composition, faire un trait d'union, c'est ça la maestria d'un chef. La même fougue se retrouve avec des pétoncles associés à des ris de veau croustillants et moelleux, reposant sur une purée de pois chiches; à cela on ajoute quelques gouttes d'un jus puissant au chorizo et aux fruits qui sert de contraste saisissant. En outre, l'assiette est magnifique dans son irrégularité géométrique, sa polychromie. En plat, nous avons choisi l'échine de cochon braisé, un plat servi dans un grand bol qui fume légèrement, à l'ancienne dans son orientation bourguignonne, petits lardons et champignons. Si ce n'était d'un oeuf poché en garniture et du fromage en grains - un intrus suave - de l'ail confit, emprunté au Sud, et cette viande superbement fondante qui se déchiquette à la cuillère. On se dit qu'elle a dû passer un long moment dans la cocotte. Le magret enfin est une curiosité. On dirait presque les fresques pointillistes de Michel Bras, la viande un peu raide, coupée en tranches fines et parfaitement juteuses; et çà et là, déposés presque distraitement dans un canevas coloré, des petits navets blancs, des oignons cipollini pochés, quelques giroles, un trait de sauce concentrée dont le fond révèle des notes un peu fumées. C'est une assiette d'une grande beauté, tracée au crayon fin, esquissée comme sur le bout des doigts. Éthérée, somptueuse.

En finale, on nous propose une dégustation de trois desserts (pour 19$ à deux) déployés autour de trois thèmes, chocolat pour l'un, mangue et fruits de la passion pour le deuxième, yaourt et fraises pour le troisième, chacun se présentant en miniatures, garnies de touches de couleur, de traits de sauce, de gouttes déposées là comme à la seringue. Encore un brillant travail d'orfèvre.

Cette cuisine spectaculaire rescape, il faut bien le dire, ce grand vaisseau pour comptables et publicitaires, de la froideur qu'il inspire dès qu'on passe la porte. Disons qu'on y va les yeux fermés et le charme opère au contact du service et de l'absolue virtuosité des plats.

Bar & Boeuf



500, rue McGill 514-866-3555

On y retourne? Bien sûr, surtout en bonne compagnie.

Prix: considérant la très grande qualité de la cuisine, c'est tout à fait raisonnable. Même un peu en deçà de la norme pour le genre. Entrées à 10$, plats à 20$ et desserts (je le répète, excellents) à moins de 8$. Comptez donc environ 125$ à deux tout compris (avec quelques verres de vin).

Service: réalisé par une excellente brigade, policée du début à la fin, avec en prime un sommelier parmi les plus enthousiastes (et sincères) que nous ayons rencontrés.

Décor: le même que dans tous les restos branchés en ville. Non! Que ceux d'il y a cinq ans.

Vin: bonne carte, mais maigre sélection au verre (trois rouges et trois blancs). C'est pourtant la tendance, le vin au verre!

(+) L'émotion que procure la véritable cuisine d'auteur, rigoureuse à l'os. Ça nous laisse muet de bonheur.

(-) Une télé allumée juste au-dessus du bar dans un resto chic? Et qui diffuse des matchs de hockey ou le Food Network? On croit rêver!