Si vous m'aviez demandé quel était mon restaurant préféré au milieu des années 90, j'aurais probablement répondu : la Taverne Monkland.

À l'époque, ce restaurant était unique à Montréal. On y mangeait, pour un prix raisonnable, une cuisine moderne, très nord-américaine, très inspirée de la côte Ouest et de New York alors que pratiquement tous les autres restaurants du centre-ville ou du Plateau continuaient à décliner le plus fidèlement possible les classiques français.Pour manger autre chose que du lapin à la moutarde ou de la pissaladière, on allait à la Taverne et on commandait un chardonnay bien boisé, en se croyant sur le West Side ou à North Beach.

Puis les années ont passé et la Taverne a perdu tranquillement son statut privilégié dans mon livre de références. Ce n'est pas tant elle qui s'est mise à changer que mes goûts et, surtout, le reste de Montréal. Tranquillement, des restaurants comme L'Épicier ou Brontë ou même des adresses comme Olive + Gourmando sont apparues, détournant l'attention et démontrant que Montréal était prête à s'ouvrir aux tendances venues non seulement d'Europe, mais aussi du Sud. Tranquillement, la Taverne devenait moins spéciale et avait du mal à soutenir la concurrence technique, notamment.

C'est donc après avoir délaissé pendant de nombreuses années cette adresse de l'avenue Monkland, à Notre-Dame-de-Grâce, que j'y suis retournée récemment et que je l'ai redécouverte avec un certain plaisir, surtout grâce à sa petite terrasse qui permet de manger en regardant en retrait le spectacle de cette agréable rue commerçante.

Le menu demeure encore et toujours très nord-américain, voire californien, même s'il propose plusieurs plats de pâtes. Toutefois, peu de poissons sont au menu et, côté océan, il faut plutôt miser sur le calmar, que l'on propose de toutes sortes de façon. Grillé, il est un peu coriace sous la dent, mais l'accompagnement de pignons, poivrons grillés et chorizo qui remplit généreusement l'assiette forme avec le fruit de mer une composition riche. Dommage que les lentilles qui complètent le tout soient légèrement trop cuites. L'assiette, du coup, en perd sa précision.

En revanche, dans une salade, les betteraves rouges et jaunes grillées ont l'originalité de ne pas être servies avec du chèvre - combinaison que l'on voit partout en ville en ce moment - mais plutôt avec du parmesan, des noix de pin et des suprêmes d'orange. Là encore, on aimerait un peu plus de netteté dans l'assemblage, mais le tout est cohérent, frais et savoureux.

En plat principal, le hamburger est légèrement sec et gagnerait à être servi avec de la moutarde et du ketchup plus intéressants et originaux que ceux que l'on présente avec ce plat pour le moins classique. En revanche, la petite compote d'oignons sucrée est savoureuse et on en prendrait plus. Les frites, servies dans un joli petit seau de métal, sont quant à elles impeccablement légères et croustillantes sans être sèches.

Un autre plat assez simple manquait lui aussi de fini : les pâtes de type zitti, de gros tubes charnus, accompagnés d'une sauce à la tomate et d'imposantes boulettes de viande pimentées, qui manquaient de légèreté. Il y a pourtant moyen de préparer ces boulettes sans qu'elles soient sèches et trop denses, non ?

En revanche, l'idée d'ajouter du citron dans le plat de penne à la sauce aux tomates, épinards et artichauts, était excellente et donnait à la fois originalité et structure à ce plat d'inspiration tout à fait californienne. Très années 90 comme recette ? Oui, peut-être. Mais en voici une qui nous rend nostalgique de cette époque...

Au dessert, un plat nous a ravis : le biscuit géant aux brisures de chocolat, servi chaud dans une petite poêle avec de la glace à la vanille, qui réconforte et adoucit la fin du repas, sucré et chocolaté à souhait. En revanche, le pudding au pain aux trois chocolats nous a laissés sur nos attentes : l'idée est bonne et la garniture fondante au chocolat est intéressante, mais le corps du pudding n'est pas assez moelleux. Quant à la tourte au chocolat, elle a déçu toute la table, laissant derrière elle l'impression d'un morceau de tarte ayant passé trop de temps dans le frigo...

La note pour ce repas à trois ? Cent soixante-sept dollars, incluant trois verres de vin, mais avant taxes et service. Peut-être aurait-on dû prendre la table d'hôte...