Faute de labellisation, le maquis des charcuteries corses demeure toujours aussi impénétrable aux touristes qui continuent à rapporter lonzu, coppa, ficatellu et autres saucissons, sans savoir qu'ils n'ont de corse que le nom. Et sont fabriqués avec des porcs qui ont souvent fait un bien plus long voyage qu'eux.

Arrivés de Bretagne, des Pays-Bas ou même de Chine --parfois vivants mais plus couramment sous forme de carcasses ou pré-découpés-- «ces cochons n'ont jamais vu un gland ou une châtaigne», tempête un artisan éleveur qui préfère ne pas être nommé.

Pour mettre fin à l'imbroglio, artisans et producteurs fermiers se sont mis d'accord sur un cahier des charges d'AOP (appellation d'origine protégée, l'appellation européenne de l'AOC) très strict imposant l'utilisation exclusive de porc corse, nourri à la châtaigne et aux glands pendant les 45 derniers jours de sa vie.

L'Inao (institut national de l'origine et de la qualité) doit une nouvelle fois examiner le dossier cet automne. Mais aucune décision n'est attendue avant au moins un an.

«Le client est arnaqué. Les industriels devraient au moins être obligés d'indiquer la provenance de leur viande», estime l'éleveur Félix Torre. «Les charcuteries traditionnelles, ajoute-t-il, ça se fait en hiver et se consomme autour de Pâques. Il n'est pas normal d'en trouver toute l'année».

«L'absence de cadre légal génère une ambiguïté, une information tronquée et lacunaire du consommateur qui risque à terme de se détourner d'un secteur alimentaire sur lequel pèsent beaucoup d'incertitudes et de soupçons», dit François Casabianca, chercheur et spécialiste de la filière porcine à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) à Corte.

Ce recours à de la viande venue d'ailleurs n'a rien d'illégal : «Tant que les charcuteries corses ne disposent pas d'une AOP, il suffit que la viande soit travaillée --salée, poivrée, et mise quelques semaines dans un fumoir-- pour devenir corse», souligne Jean-Luc Guitard, directeur régional de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DRCCRF).

«Sur les marchés de l'île, 100% de la charcuterie est faite avec de la +viande foraine+», une matière première venue d'ailleurs», ajoute son adjoint, Gilles Anjoubault.

Une fois transformés, les produits sont commercialisés avec la mention «charcuterie corse» et des étiquettes arborant la tête de Maure ou une carte de l'île de Beauté.

Selon les estimations de la DRCCRF, environ 10.000 tonnes de charcuterie sont vendues annuellement en Corse, alors que la production totale de charcuterie à base de porcs locaux n'excède pas 900 T.

Pour le consommateur, l'adjectif «véritable» sur les étiquettes resterait le seul moyen de distinguer la charcuterie élaborée avec de la matière première locale, selon M. Anjoubault.

Les puristes ne seront pas assurés pour autant de consommer de la «vraie» charcuterie réalisée à partir de «vrais» porcs corses.

D'abord parce que le cochon de race corse, le Porcu Nustrale, que beaucoup d'éleveurs disent utiliser exclusivement était, il y a peu, en voie d'extinction, et sa récente relance peine à satisfaire la demande.

Ensuite parce qu'il n'est pas le seul à évoluer dans l'île : il faut compter avec des milliers d'autres porcs «nés et élevés en Corse» mais d'autres races ou issus de croisements, et recevant des alimentations diverses.

En attendant l'AOP, pour goûter à la véritable charcuterie corse, il reste à trouver «le» magasin sérieux ou --moins difficile et moins cher-- «le» vrai petit producteur. Ils sont plus de 200 dans l'île. Mais leurs charcuteries sont réservées d'une année sur l'autre. Et il n'y a pas de listes d'attente.