En France, le sanglier est partout, au point d'être parfois une nuisance. Ici, il est encore très peu connu. Mais on gagne à l'apprivoiser... pour mieux l'apprêter.

Dans la nuit du 5 au 6 novembre dernier dans le centre de la France, le TGV assurant la liaison entre Lyon et Nantes a percuté deux sangliers et stoppé tout net, endommagé, incapable de mener à bon port les dizaines de passagers. Et cela s'est reproduit deux semaines plus tard entre Marseille et Bordeaux, et des centaines de fois avec des voitures, camions et bus sur les routes de l'Hexagone. En France, le sanglier n'est pas une curiosité, c'est un animal commun qui fait rager les agriculteurs et les autorités. Une plaie... tant qu'il se tient loin des menus des grands chefs, où il s'attire alors les éloges.

Au Québec? C'est tout le contraire. On le connaît surtout par Obélix et son appétit insatiable.

Car même si la bête sauvage est très bien adaptée à notre climat, on la considère officiellement, au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ), comme un gibier «exotique», puisque voilà, sauf exception, on n'en trouvait pas dans nos campagnes avant la tenue d'Expo 67 et que, sans l'action de l'homme, il n'aurait jamais posé son groin dans nos campagnes.

Or, petit à petit, malgré son caractère fruste, il a réussi à séduire les fermiers québécois et une quarantaine en élèvent maintenant dans la province, dont la moitié en font aussi la commercialisation.

«Ça ne demande pas trop de soins», explique Lise Chartier, qui possède avec son conjoint un élevage (Lait sangliers des bois, www.fermelaitsangliersdesbois.com) dans le petit village de Saint-Camille, en Estrie. Ce cousin du cochon vit à l'extérieur été comme hiver, il est très résistant aux maladies et ne requiert pas de traite, tout juste une ration d'eau et de moulée végétale quotidienne (l'animal est omnivore, mais ne mange aucune matière animale en captivité). Il passe ses journées à remuer le sol à la recherche d'on ne sait quoi à grignoter - peut-être d'une truffe en France, probablement d'un ver de terre ici - en grommelant tel un vieux bourru.

Les contacts avec les bêtes sont limités: interdiction de toucher aux petits, les marcassins, sous peine qu'ils soient rejetés par leurs pairs ensuite, souillés de l'odeur de l'homme. Et on évite à tout prix de s'approcher des mâles en période de rut, car ils sont susceptibles de charger avec la force de leurs 100 à 200 kg, tous crocs devant. Même si, de manière générale, le sanglier ne s'en prend pas à ses maîtres et se bat plutôt avec ses semblables pour s'imposer dans la hiérarchie de son clan.

«Mais ce n'est pas un élevage simple pour autant, car la commercialisation est encore difficile», dit Claude Fournier, coordonnateur pour les élevages de grands gibiers et d'animaux exotiques au MAPAQ, qui relève qu'un bon éleveur n'est pas nécessairement un bon vendeur.

Selon l'Association des producteurs de sangliers du Québec, un seul fermier serait assez bien établi pour vivre pleinement de son élevage (sans recourir à un revenu d'appoint, un second type d'élevage ou offrir des activités pour les chasseurs): Nicolas Gauthier, propriétaire du Rieur Sanglier à Yamachiche et qui possède 400 bêtes, une boucherie, une boutique et bientôt un centre d'interprétation.

Les atouts de cette viande sont pourtant considérables pour les consommateurs avertis: les animaux sont élevés en pleine nature à l'année, sur des fermes de taille moyenne à des lieues des porcheries industrielles, ils reçoivent une alimentation exclusivement végétale, la plupart des éleveurs n'utilisent pas ou prou d'antibiotiques ou d'hormones. Leur viande est plus pauvre en gras que celle du porc et du veau, du boeuf ou de l'agneau et fournit 14% de protéines de plus que la moyenne des viandes, confirme Marie-Josée Le Blanc, coordonnatrice du Centre de référence sur la nutrition de l'Université de Montréal.

Sur la table

Cela dit, les chefs l'aiment surtout pour sa chair dense, aux saveurs plus subtiles que d'autres gibiers, mais qui est nettement plus goûteuse que le porc ou le boeuf. En France, le chef sacré cuisinier de l'année du guide Gault et Millau 2010 a séduit les juges avec sa spécialité, le carré de sanglier au foin.

Éric Garand, chef propriétaire du restaurant Plaisir Gourmand, à Hatley, dans les Cantons-de-l'Est, a adopté le sanglier il y a trois ans, car il cherchait des nouveautés à introduire dans son menu, tout en restant fidèle à son désir de s'approvisionner localement. «Le canard, c'est connu et les gens s'en font à la maison du très bon, dit-il. Je voulais autre chose.» Il a commencé par acheter quelques pièces incognito chez Lise Chartier, testant son potentiel auprès de ses amis. Le coup de coeur fut rapide. «Les gens ont souvent peur que ça ait un goût de laine, mais pas du tout, c'est très fin», remarque-t-il.

Depuis deux ans, son menu en contient systématiquement, parfois en braisé, parfois en osso buco. Et toujours en carré, pour lequel il utilise le marcassin (voir sa recette), d'une tendreté remarquable. «C'est une viande qui se travaille bien, qui réduit peu», note-t-il. Peu grasse, elle est l'amie de la mijoteuse et des cuissons lentes à température basse qui lui évitent de devenir plus coriace sous la dent. Éric Garand privilégie les mariages avec les ingrédients sauvages, dont les champignons, les légumes racines et les lardons fumés, de sanglier de préférence, bien sûr.

Car si la viande du sanglier n'est pas persillée, elle possède tout de même une petite couche de gras qui permet d'en faire de bonnes charcuteries, explique Nicolas Gauthier: des saucissons, du bacon fumé, du jambon, des saucisses, alouette.

Autre belle option, à l'approche de l'été, plusieurs éleveurs vendent aussi leurs bêtes pour faire des méchouis. Oui, comme dans les banquets de clôture des aventures d'Astérix et d'Obélix. De la fine bouche au gros mangeur, il y en a vraiment pour tous les goûts avec le sanglier.







Où en trouver?

Dans tous les cas, on vous conseille de commander vos pièces à l'avance. La liste des points de vente est non exhaustive.

Liste des producteurs:

https://www.grandsgibiers.com

Boucherie Claude et Henri

Marché Atwater, local 11, Montréal, 514-933-0386

Boucherie Les Épicurieux

389, rue Cherrier, Montréal (arrondissement de L'Île-Bizard)

Volailles et gibier du Marché

Marché Jean-Talon, Montréal, 514-271-4141

(Saucisses de sanglier seulement)

La Maison du Rôti

1969, av. du Mont-Royal E., Montréal, 514-521-2448

Boucherie chevaline et gibier

3535, autoroute 440 O., Laval, 450-682-2288

Charcuterie du Vieux-Longueuil

193, rue Saint-Charles Ouest, Longueuil, 450-670-0643

Les Arpents verts

245, rue Duvernay, Beloeil, 450-467-2140

Les Arpents verts

106-365, boul. Sir-Wilfrid-Laurier, Mont-Saint-Hilaire, 450-536-3131