«Coudonc, vous aimez ça, le cassoulet, vous!» À mesure que ses mains sondent mes valises, l'agente frontalière extrait deux, puis trois... puis six boîtes de conserve, importées de Toulouse. En effet, le cassoulet, je ne peux m'en passer. Pour lutter contre la déprime hivernale, mon antidote infaillible, ce n'est pas un tout-inclus à Cuba, mais un simple cassoulet bien chaud et bien gras.

La recette de ce mijoté de haricots magiques, qui fait passer la pilule des soirées à -20°, n'a pourtant rien de sorcier: dans sa version la plus classique, on y trouve, en vrac, morceaux de viande confits (généralement une cuisse de canard ou d'oie), saucisses de porc, haricots blancs, oignon, tomate, laurier... sans oublier l'ingrédient-clé: de longues minutes passées au four, ce qui permet d'obtenir ce fondant savoureux.

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«Notre méthode de cuisson, c'est de le mettre au four pendant quatre heures, puis de le réchauffer à basse température avant de servir. On ajoute ensuite une fine chapelure pour qu'il soit un peu doré sur le dessus», explique Christian Peillon, chef cuisinier au restaurant Chez Alexandre et Fils, rue Peel à Montréal. Le tout est servi dans une cassole, récipient circulaire de terre cuite qui a donné son nom au mijoté qu'il accueille.

Ainsi saupoudré d'un nuage de poivre, gorgé de chaleur, le cassoulet réchauffe le corps comme un soleil du sud de la France, d'où il est originaire.

Mais d'où vient-il exactement? Tout comme les racines de la poutine font débat au Québec, trois cités gauloises s'entredéchirent, chacune revendiquant la paternité du mets: Castelnaudary, Carcassonne et Toulouse.

Nous ne trancherons par le débat ici. Soulignons simplement le bon côté de la bisbille, soit le foisonnement de multiples versions, plus ou moins raffinées, de la fameuse recette. Ainsi, le cassoulet de Carcassonne intègre parfois de l'agneau, voire - ô raffinement - de la perdrix; à Toulouse, on mise sur le canard, sans oublier d'ajouter, bien sûr, la fameuse saucisse locale (confectionnée de gras et de maigre de porc, sel, poivre et vin blanc).

Et, puisque personne n'est d'accord sur la composition du «vrai» cassoulet, autant en profiter pour le faire à sa façon: il existe même des versions végétariennes (au tofu) et aux fruits de mer... quitte à faire grincer des dents.

Le cassoulet à l'assaut du Québec

À l'image de sa cuisson languissante, le cassoulet se taille tranquillement une place au Québec. Jadis une denrée rare, il était accessible uniquement dans des boutiques spécialisées. Aujourd'hui, on peut trouver à l'épicerie des boîtes de conserve importées de Castelnaudary à un prix plus que raisonnable (11$ ou 12$). Fini les cargaisons louches dans les valises et les haussements de sourcil des douaniers!

Une production locale s'est même mise en branle: les marques Palme d'Or ou Le Canard goulu, par exemple, proposent des cassoulets conçus avec des produits d'ici. Ils sont en vente en épicerie fine. La facture peut grimper (de 22$ à 29$), mais la qualité est au rendez-vous.

>> À lire: notre banc d'essai de trois cassoulets

À ne pas manquer non plus, le cassoulet de la Ferme basque de Charlevoix, qu'on trouve à la boutique Les Saveurs de Charlevoix du marché Jean-Talon.

Quant aux restaurateurs, ils composent leurs chefs-d'oeuvre avec des produits locaux. «Pour notre cassoulet, nous prenons de l'agneau et du jambonneau du Québec, des saucisses et de la poitrine fumée des Délices de l'artisan. Tout est frais», souligne Christian Peillon. En revanche, les haricots blancs, très spécifiques, sont importés. «Il s'agit de haricots tarbais, parmi les meilleurs. Mais c'est assez cher, 10$ le kilo environ...»

Si l'aventure vous tente, il est possible de trouver ces fèves au Marché Transatlantique (9720, rue Waverly). À moins que vous ne préfériez ramener votre boîte toute prête de votre prochain voyage dans le Sud-Ouest français... à condition que votre sacro-sainte importation reçoive la bénédiction des douaniers!

Photo Bernard Brault, La Presse

Mathieu Lorange, du restaurant Le Jurançon.

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Les bonnes adresses du cassoulet montréalais


C'est la fin des haricots... le restaurant La Toulousaine, lieu saint du cassoulet à Montréal, n'est plus!

Notre goût pour les fèves pourra cependant se satisfaire ailleurs. Par exemple, au Jurançon, sympathique restaurant de la Petite-Patrie (1028, rue Saint-Zotique Est). Copieux, mais une demi-portion est offerte le midi.

Si vous gambadez du côté du centre-ville, il faudra vous arrêter chez Alexandre&Fils, (1454, rue Peel). Compter 25$ environ.

Pour être servi dans le Plateau, comptez sur Au Pied de cochon (536, avenue Duluth Est), qui n'a pas hésité à ajouter du bacon dans sa version. Attention, il n'est pas à la carte quotidiennement. Le P'tit Plateau (330 Rue Marie-Anne Est) est également une option.

Enfin, dans le Vieux-Montréal, le restaurant Les Pyrénées affiche aussi du cassoulet à sa carte.

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Cassoulet et cousinages


Les Français n'ont pas le monopole du haricot: la fève est à la fête aux quatre coins du monde et le cassoulet jouit d'un large cousinage. Et, quand il est question de souches françaises, qui dit cousin... dit Québec. N'y a-t-il pas, effectivement, un petit air de famille entre ce mijoté et les traditionnelles fèves au lard tant prisées durant la saison des cabanes à sucre? Il y a fort à parier que ce classique québécois prend ses racines dans les recettes de ses ancêtres.

D'ailleurs, pourquoi ne pas les réconcilier en osant déverser un mince filet de sirop d'érable parmi les ingrédients du cassoulet? Attention cependant à ne pas avoir la main trop lourde: la pointe sucrée peut rapidement devenir envahissante et gâcher le tout.

Les Portugais aussi ont leur propre version du cassoulet, qui est reprise par... leurs cousins brésiliens. La feijoada se distingue par l'utilisation de haricots noirs, parfois de chou, et le recours à la viande de porc salé ou fumé, dont presque toutes les parties (oreilles, pattes, alouette...) sont mises à contribution. Peu onéreuse et accessible à toutes les classes sociales, cette variante du célèbre mijoté est si populaire au Brésil qu'elle est presque considérée comme plat national.

Photo d'archives

Un feijoada brésilien.

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Une académie... et une confrérie québécoise


On ne badine pas avec le cassoulet: il jouit même de son institution officielle! Échafaudée à l'initiative de huit chefs et basée à Carcassonne, l'Académie Universelle du Cassoulet veut promouvoir et conserver cette tradition culinaire, proposant aussi une «Route des Cassoulets», reliant Narbonne à Toulouse.

Ses ramifications tentaculaires ont même atteint le Québec, où existe... la Confrérie du Cassoulet. Sous l'égide du chef Daniel Pachon, de l'auberge Villa Pachon à Jonquière, une grande célébration est organisée chaque année à la Maison amérindienne de Mont-Saint-Hilaire, agrémentée de l'intronisation de nouveaux membres.

Photo Bernard Brault, La Presse