Ils s'appellent Julien, Martin et Alexandre, ont encore l'air d'adolescents, mais n'ont plus tout à fait l'âge de gagner leur vie, l'été, en travaillant au bar laitier au coin de la rue. Et pourtant, c'est bien là qu'ils ont décidé de passer tous leurs temps libres. Pour le plaisir d'abord. Pour payer leur loyer, ensuite. Et, par ricochet, pour devenir l'une des belles démonstrations du dynamisme de l'univers de la glace à Montréal.

Ouvert l'an dernier, leur troquet, Les Givrés, fait dans le rétro. Alors que la plupart des artisans de Montréal font dans la glace européenne, ils ont décidé de se tourner vers les États-Unis et de redonner ses lettres de noblesse au bar laitier version années 50, où l'on venait s'asseoir et passer une partie de la soirée, partageant un sundae ou un banana split entre amoureux ou entre copains. «On veut que le bar laitier redevienne un lieu de rendez-vous», explique le pâtissier de l'affaire, Alexandre Deslauriers. Avec une différence de taille: la qualité des produits.

Car les trois copains sont de fins palais. En cette époque où les géants de l'alimentation se targuent de mettre au point des «produits laitiers glaciers» dont la première qualité vantée est le faible apport calorique, au détriment d'une liste d'ingrédients complexes et terriblement longue, eux refusent de travailler avec des produits transformés, des bases toutes prêtes, des additifs articificiels de tout acabit. Dans sa fabrique de la rue Chabot, Martin Maheux-Picard fait ses glaces en n'utilisant que des jaunes d'oeufs, du lait, de la crème, du sucre de canne biologique et des parfums entièrement naturels. La sauce au caramel des coupes glacées, c'est eux qui la font avec du sucre et de la crème. Idem pour celle au chocolat, ou encore la pâte de pistache, qu'ils prennent le temps de préparer à l'ancienne en faisant d'abord griller au four les pistaches avant de les réduire en purée avec du sucre. Les biscuits des sandwichs glacés, les choux des profiteroles, tout y passe. Toutes les pâtisseries sont faites par Alexandre Deslauriers. Même les éclats de macarons saupoudrés sur les affriolantes coupes glacées.

En fait, ils sont si soucieux de suivre la chaîne de production de A à Z qu'ils poussent même l'audace jusqu'à faire eux-mêmes leurs cornets! Tous! Pas seulement les gros gaufrés sucrés, mais aussi les petits réguliers. Un cas exceptionnel au Québec. «On a cherché notre machine longtemps, très longtemps!», raconte Julien Debuis, homme d'affaires et barman, qui l'a finalement dénichée... en Chine! Le résultat final - enfin un cornet qui ne goûte pas le carton! - en valait vraiment la peine.

Il faut dire que s'ils sont encore jeunes (26, 36 et 37 ans), ils ont appris à la bonne école, celle du Bilboquet, dont ils ne sont partis que pour mieux exprimer leur créativité.

Ils font partie de cette nouvelle génération, qu'un vieux routier comme Guy Morad, de Meu-Meu, voit pousser avec intérêt. «Ça a évolué beaucoup depuis quelque temps! constate-t-il. Il y a beaucoup, beaucoup plus d'artisans qu'avant, et les gens peuvent manger de bien meilleures glaces à Montréal.»

«Et il y a encore de la place pour des nouveaux, surtout si l'on réussit à détourner encore plus de clients des grandes chaînes vers les petits artisans», ajoute Robert Lachapelle, du Havre-aux-Glaces.

Mais justement, comment reconnaît-on les bonnes boules?

«La vanille ultrablanche, c'est tout simplement impossible», explique Martin Maheux-Picard, mais la présence de petits points noirs - des graines de gousses de vanille - ne suffit pas. La glace doit aussi être bien lisse - «celle gonflée d'air sera plus rugueuse», et il faut faire confiance à son palais: une pellicule cireuse est un bon indice d'ajout d'émulsifiants artificiels.

Les meilleurs glaciers savent adapter leur recette à chaque ingrédient, par exemple en préférant le lait à la crème dans les mélanges avec des noix, déjà assez riches en gras. Ils suivent aussi les saisons et, s'ils ne sont pas toujours bios, privilégient le plus possible l'achat local. Les Givrés ont même créé un parfum aux gros melons de Saint-Eustache, dépecés et épépinés un pépin à la fois, un autre au cassis de North Hatley. Ils profitent des pommes et des poires à l'automne, des fraises et de la rhubarbe en ce moment, la liste est sans fin ou presque.

Un public créatif

Mais si la variété est au rendez-vous sur le cornet, une part du mérite revient aussi aux consommateurs. «La scène montréalaise est super le fun parce qu'ici, les gens consomment énormément de glaces. Ce n'est pas comme en France, où ils attendent la canicule du 15 août. Ici, dès qu'il y a un peu de soleil, on veut son petit bout d'été», dit Guillaume Beck, copropriétaire de Kem Coba. Les palais sont aussi particulièrement ouverts et favorisent la créativité, observe-t-il. «Montréal étant tellement multiculturel, on peut faire toutes les saveurs qu'on veut, jouer avec les épices et les fruits exotiques.»

Qui aurait pensé, il y a quelques années à peine, trouver une crème glacée molle marbrée de sorbet à la rhubarbe, ou un gâteau glacé décoré de tranches de bacon, comme il y en a chez Les Givrés? «On s'amuse, on fait des tests. Et quand on aime le résultat tous les trois, on se trompe rarement, dit Martin Maheux-Picard. Mais il ne sert à rien d'innover pour innover.»

Et de fait, l'une de leurs meilleures idées n'est pas la plus révolutionnaire: celle de rester ouvert toute l'année. Parce que oui, des plaisirs comme ceux-là, on ne veut pas s'en passer quand viendra le temps d'affronter le blues de l'hiver.

Les Givrés. 3807, rue Saint-Denis, Montréal, 514-373-7558.

Ouvert tous les jours jusqu'à 22 h en semaine, 23 h les week-ends.

30 saveurs en rotation.

Prix de la plus petite coupe: 3,25$.

Prix du demi-litre pour emporter: 7$, 7,50$ pour la crème glacée à l'érable.

Gâteaux glacés pour emporter.