La nouvelle année commence, une décennie prend fin. Regard sur 12 mois qui ont vu la cuisine bouger et se redéfinir, et sur une cuvée gastronomique 2010 qui s'annonce sauvage, écolo et remplie de trésors de modestes moyens. Bye-bye, thon rouge. Bonjour, herbes sauvages. Sortez vos gants et vos bottes de marche et apportez vos Corn Flakes, on part en forêt.

CHAUD: Les herbes, les petits fruits, les champignons, le gibier.

Tout ce qui est sauvage. Les chefs scandinaves marchent dans les traces du Français Marc Veyrat, qui a ramené à la grande table les pousses parfumées des forêts et des coteaux. Au Québec, la chasse et la pêche confirment un retour amorcé depuis quelques années. Non seulement on veut manger «régional», mais on veut carrément manger naturel, sans engrais, sans labeur énergivore et rustique.

FROID: Les têtes de cervidés empaillées dans les restos.

Le gibier, on le veut dans l'assiette, pas dans la déco.

CHAUD: Les animaux que l'on mange du museau à la queue.

Pattes de poulet, queue de boeuf ou de porc, langue, oreilles... Oubliez le végétalisme. Si vous voulez manger de façon écologiquement raisonnable, ce n'est pas en encourageant les monocultures de soja transgéniques que vous le ferez, c'est en mangeant de la viande intelligemment. Donc des produits naturels, régionaux et sans gaspillage. Quand on tue une bête, on mange tout! Le ventre et l'épaule de porc sont déjà populaires à New York. Le cou d'agneau arrive aussi dans nos assiettes. La joue de veau ou de boeuf est déjà partout. On continue. Un peu d'estomac de porc avec ça?

FROID: Les poissons surpêchés.

Même si certains sont délicieux, comme le thon rouge, il est rendu vraiment de mauvais goût d'en servir et d'en manger. D'ailleurs, les restaurants des Relais&Châteaux ont totalement retiré le thon rouge de leurs menus. Plusieurs autres espèces menacées devraient suivre.

CHAUD: L'eau du robinet.

On oublie les eaux importées du bout du monde, dans des bouteilles exotiques, souvent fort jolies, mais qui coûtent une fortune à transporter. On a de la très bonne eau ici. Pourquoi ne pas la boire?

FROID: Les restos qui n'offrent pas la possibilité de boire tout simplement de l'eau du robinet, froide, filtrée, sans glaçons.

CHAUD: L'asiatique costaud.

Qu'il vienne du nord de la Chine, avec de grosses nouilles dodues et des dumplings remplis de bouillon, ou alors qu'il soit réinventé façon David Chang, le chef new-yorkais du moment. Mélange d'influences coréenne, japonaise, et un peu vietnamienne, la cuisine de Chang est à la fois résolument asiatique et américaine. On la sent solide mais parfumée, goûteuse mais raffinée. Après les sushis et les dim sum qui ont marqué les 10 dernières années, laissons place aux buns au porc grillé, aux poissons marinés, aux algues salées utilisées en condiment, aux kimchis maison. Et au ramen réhabilité.

FROID: Les sushis préparés n'importe comment que l'on trouve maintenant dans le moindre supermarché.

On est au bord de l'indigestion.

CHAUD: Les petits poissons et fruits de mer dont la survie n'est pas menacée et que l'on snobe trop souvent: sardines, harengs, maquereaux, calamars, crevettes du Golfe...

Heureusement, on vient de découvrir l'écologiquement correcte morue charbonnière, qui prend de plus en plus la place laissée par le bar du Chili (à éviter). Mais il y a d'autres poissons à découvrir, comme l'omble ou la truite...

FROID: Les poissons et fruits de mer d'élevages non bio.

Les crevettes importées d'Asie, par exemple, ou le saumon d'élevage, grandissent dans des environnements très polluants.

CHAUD: La bière.

Dans des régions nordiques comme les nôtres, la vigne ne pousse pas aisément. Le houblon, si. Pourquoi ne pas en profiter en laissant plus de place à la bière dans nos accords gastronomiques? Les chefs scandinaves qui délaissent les huiles d'olive, agrumes et autres produits trop méditerranéens se tournent de plus en plus vers les bières. Ici, les sommeliers s'intéressent à ces autres bulles de plus en plus.

FROID: Les restos et bars qui ne mettent que des bières blondes traditionnelles hyper commerciales au menu.

En 2010, on s'attend à trouver de la rousse partout. Et pourquoi pas des dorées, des brunes?

CHAUD: Les plats végétariens, voire végétaliens.

Pas besoin de s'interdire totalement la viande ou les fromages. Mais pas besoin d'en manger tout le temps non plus. Dans un monde où la qualité de la viande qui nous est offerte est trop souvent très douteuse, on choisit les meilleurs produits, quitte à payer le gros prix et à manger des légumes, des grains et des légumineuses le reste du temps. Et puis? C'est délicieux, aussi.

FROID: Les produits végétaliens et végétariens qui sont hyper transformés, comme de la malbouffe.

C'est quoi l'idée de manger des produits végés dont on ne connaît ni la recette ni l'origine? Et puis dévorer des tonnes de soja, ultra-transformé, coloré, assaisonné, est-ce écolo quand on sait que cet aliment, souvent cultivé en monoculture, est l'un des premiers produits sur la liste des transgéniques?

CHAUD: Les grains non traditionnels, donc autres que le blé, le maïs, le soja.

On redécouvre le kamut, l'épeautre, le quinoa... Non seulement parce qu'ils goûtent bon et qu'ils sont faciles à cuisiner, mais aussi parce que c'est une bonne idée d'encourager la biodiversité et de faire revivre les céréales oubliées. Tout comme les légumes ancestraux d'ailleurs.

FROID: Le bio ou le local à tout prix.

Veut-on vraiment manger des fraises bios importées de Californie en plein hiver? Ou des tomates locales qui poussent dans des serres énergivores pendant qu'il neige dehors?

CHAUD: L'amer et l'acidulé.

Dans un monde qui adore le très sucré et le très gras, où les saveurs coulent presque trop aisément, on redécouvre la joie des angles et de la ponctuation que fournissent les saveurs amères et acidulées. Tant mieux, parce qu'il y en a tout plein dans ces fruits sauvages et légumes ancestraux que l'on recherche de plus en plus.

FROID: Les réductions collantes qui décorent les fonds d'assiettes.

Elles sont souvent très élégantes, mais ajoutent-elles réellement les contrepoints acidulés ou fruités attendus? On est prêt à passer à autre chose.

CHAUD: Les ingrédients modestes.

En 2010, on ne veut plus mettre la biodiversité de la planète en péril en mangeant. Donc on choisit des produits courants, pas chers, accessibles: le riz, les betteraves, les courges, les pieds de porc, et on en fait des miracles beaux, très bons et pas trop chers, comme David Chang chez Momofuku, qui met du croquant sur ses desserts avec des Corn Flakes ou Inaki Aizpitarte, au Chateaubriand à Paris, qui réinvente les radis.

FROID: Les ingrédients très chers, qui sont souvent des ingrédients très rares, comme le caviar ou le thon rouge. Car qui dit rare dit souvent menacé. En 2010, on préfère payer pour de bons produits simples, et de bonnes idées.