Consommée à tous les coins de rue au XIXe siècle, disparue au XXe, l'huître est redevenue une passion contagieuse à New York, à un prix qui la fait changer de classe sociale.

D'octobre à janvier, pleine saison pour la consommation des fruits de mer, ostréiculteurs et restaurateurs se frottent les mains: la demande ne cesse de croître depuis une dizaine d'années, et les fermes conchylicoles surgissent çà et là dans la région.

Par une fraîche matinée d'automne, Chris Quartuccio, 44 ans, parcourt en bateau les 500 mètres qui séparent le quai de son ponton, planté au milieu de la baie «Great South» à Long Island, dans la banlieue sud-est de New York.

Séparée de l'océan par la mince langue de sable de Fire Island, cette baie à la salinité élevée est idéale pour l'élevage du célèbre mollusque à avaler vivant, et est le berceau d'un des coquillages les plus célèbres d'Amérique, le «Blue Point».

Connue de la tribu indienne des Lenape qui en mangeaient il y a 400 ans avant l'arrivée des explorateurs, l'huître a longtemps été aux New-Yorkais ce qu'est le «hot-dog» aujourd'hui, proposée pour quelques pièces par les vendeurs ambulants ou par les pêcheurs qui accostaient le long des quais, racontent les historiens.

En 1880, les rivages produisaient 700 millions d'huîtres par an et les familles en mangeaient plusieurs fois par semaine, crues ou cuisinées, écrit Mark Kurlansky, auteur d'une histoire de New York à travers l'huître, «The Big Oyster.»

Puis elles disparurent, en raison de la pêche intensive, d'une épidémie de fièvre typhoïde, de la pollution des eaux due à l'industrialisation et du passage d'un puissant ouragan en 1938. Quelques bars subsistèrent, comme l'«Oyster Bar» de la gare de Grand Central, mais ils servaient des coquillages venus d'ailleurs, et les richissimes ostréiculteurs du XIXe firent faillite.

Fils de restaurateurs, Chris Quartuccio a décidé il y a cinq ans de relancer la culture de la «vraie» Blue Point. Fier de son succès croissant, il invite des candidats à le rejoindre, tels ces deux stagiaires qui s'essayent à l'ostréiculture sur son territoire.

«Il y a une explosion des petites fermes, et si ça marche je voudrais produire un million d'huîtres l'an prochain, cinq millions dans cinq ans», dit Chuck Westfall, un ingénieur du son de 56 ans qui planifie sa retraite.

«La Blue Point a été piratée, on la produit notamment en Louisiane (sud), c'est comme le champagne qui ne vient pas de Champagne, elle n'a aucun goût», souligne Chris Quartuccio.

Outre sa production, il distribue des huîtres provenant du nord-ouest des États-Unis, où elles grandissent plus rapidement --deux ans environ sont nécessaires au nord-est pour qu'elles soient consommables-- ou de régions comme le Maine ou le Massachusetts (nord-est), où des Français ont importé dans les années 1960 les belons, vendues aujourd'hui sous l'appellation «d'huîtres plates».

«Quand j'ai ouvert en 1996, seuls trois endroits servaient des huîtres, aujourd'hui même les +steak house+ en proposent», raconte Jeremy Marshall, 45 ans, restaurateur à l'Aquagrill à Manhattan. «Au début nous en avions sept sortes, aujourd'hui 300, et nous en vendons environ 1.000 par jour», souligne-t-il.

«Avec la mode des sushi japonais, les Américains ont pris l'habitude de manger cru, et puis la sophistication et la diététique ont fait le reste», poursuit le chef.

Sur la carte du restaurant, la moins chère est la Blue Point à 1,95 dollar pièce, la plus chère la «Belon du Maine» à 3,55 dollars. «Un jour un client est entré, s'est assis au comptoir, et en a mangé 140 d'affilée», raconte le restaurateur.