Quand Liu Yang est parti faire ses études en France, il ne s'attendait pas à cela: se prendre de passion pour le fromage et en faire son métier une fois qu'il rentrerait en Chine, où ce produit alimentaire est toujours considéré avec méfiance.

Mais au bout de huit ans, Liu, 35 ans, est devenu l'un des rares fabricants de fromage de l'Empire du milieu. Dans la fromagerie qu'il a installée à Pékin, il fait du fromage pour les expatriés et, en même temps, essaie de vaincre les réticences de ses compatriotes qui tordent le nez sur son chèvre.Liu s'est initié à l'art du fromage grâce à un voisin quand il habitait dans les montagnes de Corse, ou il étudiait le commerce international.

«Il m'a fait goûter du fromage de chèvre et j'ai trouvé délicieux», dit Liu Yang en français, tout en versant du lait dans une grande cuve à fromage.

«Parfois il me ramenait son fromage, qui sentait vraiment fort, j'apportais du 'baijiu' (liqueur chinoise), et on prenait les deux ensemble», dit Liu.

Cette rencontre l'a poussé à apprendre à fabriquer du fromage dans un lycée agricole.

«Tout ceux qui apprenaient avec moi venaient de familles de fromagers et ils étaient tous Français - j'étais le seul étranger et ne savais pas faire du fromage, mais ils s'occupaient vraiment de moi», poursuit-il.

Puis Liu se décide à rentrer en Chine et à se spécialiser dans la fabrication du fromage.

Mais la Chine n'est pas, comme la France, un pays amateur de fromage. En effet, beaucoup de Chinois ont une intolérance digestive aux produits laitiers et associent le fromage à l'obésité.

Pourtant, selon les consultants Euromonitor International, «la consommation du fromage a beaucoup augmenté en Chine» ces dernières années. Mais ce sont surtout les fromages fondus que les Chinois mangent.

«Le fromage artisanal est très peu vendu, les gens ne savent pas comment le manger», selon Euromonitor.

Cependant, selon un rapport de 2007 du site www.21food.com, «le fromage pourrait devenir une nouvelle mode, après le lait classique ou en poudre, et le yaourt».

Et c'est avec cet espoir que Liu est revenu à Pékin en 2007 et s'est lancé.

Cette année-là, il rencontre sa future femme, qui surmonte une réticence initiale pour le soutenir dans sa passion.

«Elle n'aimait pas le fromage au début», raconte-t-il. «Maintenant elle aime le brocciu (chèvre corse), et elle commence à apprécier le camembert, mais toujours pas le bleu».

Il a ouvert sa fromagerie en mai dernier après avoir transformé une partie de ses locaux en salles de fabrication de fromage, et installé une grande salle frigorifique.

«J'ai dépensé toutes mes économies», dit Liu, c'est à dire 100 000 yuans, soit 10 400 euros.

Il a importé quelques équipements de France, mais il a fait faire sa cuve à fromage avec des thermomètres par un ami ingénieur à Pékin, pour 50 000 yuans.

Liu Yang a visé d'abord la nombreuse communauté d'expatriés à Pékin avec des dégustations et des livraisons. Mais ce démarrage ne permet pas à sa petite entreprise d'être rentable.

Il cherche donc à introduire le fromage à la française auprès de la population chinoise.

«Les clients chinois aiment le brocciu et le fromage frais, bien qu'ils demandent quand même d'y ajouter du sucre», explique-t-il, «mais je n'ai pas encore essayé de vendre des fromages plus forts aux Chinois».

Pendant le déjeuner dans un restaurant chinois, Liu sort son fromage «Gris de Pékin», un petit camembert. Il en coupe une tranche pour un serveur.

Ce dernier, suspicieux, l'attrape avec des baguettes, le renifle et le grignote.

«C'est bon», dit-il sans conviction.