Maintenant que les machines à espresso se sont démocratisées, des amateurs poussent le raffinement un peu plus loin. Beaucoup plus loin, pour certains. Et peuvent goûter un café comme un expert savoure un bon vin.

Encore en 2005, on l'appelait maître Leduc. Il travaillait pour un bureau d'avocats, et cherchait à se faire une place en droit international. Mais après quatre mois dans un cabinet du centre-ville, Jean-François Leduc a réalisé qu'il n'aimait pas ce qu'il faisait.

 

Le jeune avocat, passionné de café depuis un voyage en Italie, a fait un curieux choix: «Je me suis trouvé un boulot dans un café de la rue Fleury, payé au salaire minimum.»

Après quelques mois d'apprentissage - «principalement en ce qui a trait aux machines» -, il est devenu l'une des références montrélaises de ce qu'on appelle la «scène du café».

Comme une poignée de jeunes baristas montréalais - l'équivalent d'un barman, version caféinée -, Jean-François Leduc voue une passion quasi-maniaque au grain et à ce qu'il en tire. Il se réclame d'un mouvement venu de la côte ouest américaine (plus précisément de Seattle, Vancouver et Portland) qui s'est autoproclamé «la troisième vague» du café. «Il y a un parallèle à faire entre nous et les amateurs de vin, explique l'expert. La première vague, on pourrait dire qu'elle remonte aux années 50 et 60: c'est l'époque de la consommation de masse, où on vend du café pour son effet, pas pour ses qualités. La deuxième vague, apparue autour des années 70-80, découle de la popularisation de l'espresso. Les grandes chaînes comme Starbucks font leur apparition et vendent un café de meilleure qualité. La troisième vague, qui date d'il y a huit ou neuf ans, c'est celle poussée par des amateurs capables de reconnaître une variété de grain par rapport à une autre, qui ont lancé leurs propres petits cafés, totalement indépendants des grandes chaînes.»

Déjà, au milieu des années 80, sont apparus à Montréal les cafés Aux Deux Marie et la Brûlerie Saint-Denis, des établissements indépendants qui torréfient eux-mêmes leurs cafés. «Je me vois plus comme une bonne vieille maître torréfactrice de l'école européenne», note Marie-Andrée Traversy, copropriétaire des Deux Marie, qui propose depuis longtemps une carte des cafés similaire à une carte des vins. Depuis quelques temps, elle constate tout de même une curiosité nouvelle: «Des gens laissent leurs cartes pour donner des cours de baristas.»

Dans le troquet qu'il a ouvert l'année dernière, le Caffè in Gamba, sur l'avenue du Parc, M. Leduc dit pousser le souci du détail un cran plus loin. Le proprio peut bien sûr vous dire l'origine géographique de son café. Mais il sait aussi précisément à quelle altitude et de quelle façon les grains ont été cueillis, la date de leur torréfaction et même le nom du fermier qui les a récoltés. «Se contenter de dire qu'on vend du café du Guatemala, c'est comme si la SAQ se limitait à dire que ses bordeaux sont des vins de France», explique-t-il.

En mars, Jean-François Leduc compte d'ailleurs se rendre en Amérique du Sud pour rencontrer les cultivateurs en personne. «Je veux établir des liens d'affaires directs avec les fermiers. Je veux couper les intermédiaires.»

Approche méthodologique

M. Leduc n'est pas le seul à avoir adopté cette religion venue de la côte Ouest. Avec d'autres maniaques, comme Anthony Benda, copropriétaire du café Myriade, avenue MacKay, il participe régulièrement à des concours de baristas, comme le Canadian Barista Championship, lors desquels un jury très conservateur évalue leur savoir-faire pour faire couler un simple espresso ou pour réaliser du latté art - ces petits motifs en mousse sur les cafés lattés que seuls les pros arrivent à faire. «Bien sûr, on peut épater la galerie en faisant des dessins flyés sur un café latté. Mais l'essentiel, pour un bon barista, c'est d'avoir une approche méthodologique, dit Anthony Benda. Extraire un bon café, ça ne relève pas tant de la machine que de la façon de faire. Il y a une température et une mouture très précises qu'on doit trouver pour chaque grain. Le rôle d'un bon barista, c'est de trouver la combinaison parfaite.» Et surtout, de la répéter avec une constance d'horloger.

Cette constance, M. Benda l'obtient à force d'essais et d'erreurs. Lui et son partenaire d'affaires, Scott Rao, auteur d'un guide sur l'art de préparer l'espresso, peuvent passer des heures à essayer différentes combinaisons.

Le jeu en vaut-il la chandelle? «Certains nous ont traités de fous, lance Scott Rao. Mais ce qu'on constate, c'est que la clientèle est de plus en plus curieuse. Nos clients, lorsqu'ils goûtent à notre café, voient la différence par rapport au café des grandes chaînes. Ils ne savent pas encore décrire précisément ce qu'ils goûtent, mais ils posent beaucoup de questions. Je dirais qu'à Montréal, les amateurs de cafés d'aujourd'hui sont comme les amateurs de vin de la génération précédente.»

Au milieu de cette masse de plus en plus exigeante, on trouve tout de même à Montréal un noyau de connaisseurs qui s'intéressent aux particularités de chaque région. «C'est une petite communauté - je connais presque tous les membres par leur prénom - mais ça grossit vite», note Jean-François Leduc.

 

ADRESSES

Café Myriade

1432, rue MacKay 514-939-1717

Caffè In Gamba

5263, avenue du Parc 514-656-6852

Aux Deux Marie

4329, rue Saint-Denis 514-844-7246

Café Véritas

480, boul. Saint-Laurent 514-510-7775

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À LIRE

The Professional Barista's Handbook 

Publié à compte d'auteur et disponible au café Myriade (1432, rue Mackay, Montréal)

Tout sur l'art de préparer un espresso. Des chapitres extrêmement détaillés, frôlant parfois la rubrique scientifique, sur l'extraction du café, la température idéale d'infusion et les ratios d'eau et de café utilisés selon les différents standards régionaux (Italie, États-Unis, etc.). En prime, un chapitre illustré entier sur le latté art. En anglais seulement.

Café

Textes de Stéphan Lagorce, photos d'Éric Fénot

Collection Hachette Pratique

Quelques explications historiques, un petit lexique technique et des suggestions d'accords avec les mets. Mais surtout, plusieurs recettes de desserts savoureusement illustrées. Avis aux puristes : l'infâme café instantané a trouvé sa place parmi les ingrédients de plusieurs recettes. Certains y verront peut-être une façon d'enfin finir ce vieux pot de Nabob qui traîne dans le garde-manger depuis des lustres.