Ils sont fous du hockey sur table. Chaque semaine, ils s'affrontent lors de parties amicales. Ce sont des adultes, mais aussi des adolescents, qui manient habilement la petite rondelle de plastique et qui n'hésitent pas à aller dans les coins! Compte rendu.

Un mercredi soir dans Villeray

Mercredi soir, dans le sous-sol d'un duplex du quartier Villeray, à Montréal. La tension est palpable. Huit hockeyeurs, dont certains ont les tempes grisonnantes, vont bientôt s'affronter sur une surface de jeu synthétique.

C'est la «Soirée du hockey sur table» hebdomadaire chez Marc Lapointe, 62 ans. Tout le monde est là: l'arbitre, le chronométreur, les spectateurs. Tout a été prévu: même la bière est au frais. Dans quelques instants, on demandera à l'«organiste» de se mettre de la partie...

L'arbitre André Parenteau, sifflet en bouche, met la rondelle en jeu. La partie vient de débuter et les secondes s'écoulent au tableau indicateur installé au-dessus de la patinoire.

«On s'amuse ferme dans notre ligue de chums, résume le président de la Ligue majeure de hockey sur table. Ça demeure un jeu, mais un jeu qui demande beaucoup de concentration!»

Son ami Parenteau ajoute: «C'est aussi un club social. On oublie nos problèmes quand on pousse et qu'on tire sur les tiges [métalliques] pour faire bouger nos joueurs, en espérant déjouer la vigilance du gardien de but adverse!»

Des amitiés durables

Ça fait 35 ans que la ligue existe. «On a pratiquement vieilli ensemble, s'étonne Marc Lapointe. Il y en a qui sont là depuis le tout début. On a développé des amitiés durables.»

De nombreux musiciens, amis d'André Parenteau, ont évolué dans la ligue ou sont encore des joueurs actifs. Parmi ceux-là, le saxophoniste André Leroux, le compositeur classique Louis Babin, le contrebassiste Jean Cyr, qui a joué avec feu Bob Walsh, et le trompettiste Ivanhoe Jolicoeur. De son côté, le bassiste André Parenteau a côtoyé les Michel Pagliaro et Robert Charlebois.

Le journaliste Vincent Grou, 46 ans, spécialiste des médias sociaux à Radio-Canada, trouve lui aussi beaucoup de plaisir à «pousser la rondelle» ou à mystifier le gardien de but en y allant de manoeuvres rapides.

«Quand j'étais enfant, je regardais jouer deux de mes frères et j'ai eu la piqûre. J'aime vraiment ce jeu qui demande une bonne coordination, et à la vitesse où voyage la rondelle, il vaut mieux ne pas cligner des yeux!»

Il faut comprendre que c'est du sérieux, ces rencontres entre hockeyeurs expérimentés... mais qui ne se prennent pas au sérieux. «Toutefois, quand arrivent les séries éliminatoires, souligne Marc Lapointe, c'est plus intense. On est un peu plus sur le nerf!»

Trophées symboliques

On aura deviné que les statistiques sont compilées de façon minutieuse par le marqueur de la ligue et que chacun des joueurs peut consulter sa fiche personnelle à tout moment. Des fanions identifiant les joueurs «de renom» ont même été installés au-dessus de la table de jeu.

«On a notre Temple de la renommée et nos trophées symboliques pour récompenser les meilleurs joueurs, précise le joueur-organisateur. Mais tout cela se fait bien entendu dans l'humour.»

Ce soir-là, comme toutes les semaines, les joueurs ont donné leur 110 %, pour reprendre une expression chère aux sportifs professionnels. Avant de rentrer chacun chez eux, certains ont siroté une bière et d'autres se sont contentés d'une bouteille d'eau...

L'homme qui récupérait des jeux de hockey dans les ruelles

Le hockey sur table, André Parenteau, bientôt 72 ans, a ça dans le sang. «C'est ma passion depuis toujours!», dit-il avec conviction.

En plus de jouer et d'organiser des tournois, il a récupéré «une bonne centaine» de jeux dans les ruelles de Montréal au cours de sa vie. «On les avait mis à la poubelle, et moi, j'ai récupéré les jeux pour les pièces», raconte-t-il.

Il a fait de belles trouvailles, comme ce jeu en bois Munro datant des années 40. «Une pièce de collection!», lance-t-il fièrement.

André Parenteau a également fabriqué une quinzaine de tables de hockey «de haut niveau professionnel», assure-t-il.

«Vous ne trouverez pas un jeu comme le mien dans les grands magasins, ajoute-t-il. J'ai changé les tiges métalliques pour qu'elles soient à la fois plus souples et plus résistantes. Ça permet de lancer la rondelle avec plus de précision et à une vitesse de près de 200 kilomètres à l'heure.»

L'influence du Forum

Fait à souligner, c'est en se rendant voir jouer le Canadien de Montréal, dans l'ancien Forum, qu'il a eu l'idée de concevoir une surface de jeu «qui ressemble à une vraie patinoire».

«Le revêtement est plus blanc, plus luisant. On dirait une vraie glace!»

Pour tout dire, André Parenteau est tombé très jeune dans la potion magique du hockey. «Mon père a déjà travaillé avec Dickie Moore chez Canadair [aujourd'hui Bombardier], évoque-t-il à propos de l'ancien numéro 12 du Canadien de Montréal. Il ramenait des gants et des jambières de hockey à la maison. J'avais 5 ans. J'étais impressionné.»

À la fin des années 90, il a organisé des rencontres de hockey sur table au Café Campus. Pour en attester, il nous montre une photo où il apparaît aux côtés de Marcel Bonin, lui aussi un ancien Glorieux qui a porté l'uniforme du Canadien au milieu des années 50.

«À une certaine époque, raconte-t-il, le hockey sur table attirait les foules. Chaque ligue avait ses supporters. Les temps ont changé, mais il me semble qu'il y a un regain de popularité, même chez les plus jeunes.»

Photo Bernard BRAULT, La Presse

André Parenteau, un ami du chanteur Robert Charlebois, a conçu un modèle de table de hockey sur laquelle ses amis musiciens jouent depuis plus de trois décennies!

Des «pros» et des ligues de garage...

La popularité des ligues de hockey sur table est grandissante au Québec, observe Carlo Bossio, président de la très sérieuse NTHL (National Table Hockey League).

«C'est ce que je constate lors des tournois, précise-t-il. On joue de plus en plus au hockey sur table, et vous seriez étonné de voir le calibre de joueurs âgés d'à peine 13 ans!»

Il va sans dire que le talent des joueurs varie en fonction des ligues, convient-il, mais les hockeyeurs sont tous motivés par la même passion: mettre la puck dans le filet en faisant appel à leurs réflexes et à leur coordination oeil-main.

La NTHL est dans une classe à part, avec 150 joueurs qui font partie de l'élite, assure Carlo Bossio, lui-même un joueur très talentueux, que certains vont même jusqu'à qualifier de «Wayne Gretzky du hockey sur table». Rien de moins!

Il y a même une ligue réservée à «la crème de la crème» regroupant les 12 meilleurs joueurs. «Ils viennent jouer sur invitation seulement, précise-t-il. Il y a même un joueur new-yorkais qui fait sept heures de route pour venir affronter les meilleurs.»

«On organise huit tournois par année. On aime se mesurer les uns aux autres. On tripe fort chaque fois!», affirme Carlo Bossio.

Père et fils en compétition!

Le hockey sur table donne parfois même lieu à des affrontements (amicaux) père-fils, comme c'est le cas dans la ligue de Martin Douville, qui regroupe 25 joueurs.

«Je joue moi-même contre mon fils de 16 ans, et il est bon!», avoue le président de la Ligue de hockey sur table de Rosemont (LHTR). Dans sa ligue, les joueurs portent des chandails aux couleurs des équipes de la Ligue nationale de hockey (LNH). Là aussi, il y a des bannières suspendues au plafond et on tient les statistiques!

Il ne manque pas de rappeler que ses joueurs évoluent sur cinq «patinoires» - d'une valeur de 400 à 600 $ chacune - fabriquées par le Montréalais Carlo Bossio.

«Ceux qui jouent dans ma ligue ont l'esprit compétitif, soulève-t-il. Mais tout se fait dans la bonne humeur. Il n'y a pas de mauvais perdant.»

Ça fait 12 ans qu'il dirige sa ligue et il n'est pas sur le point de passer le flambeau. «Tous les vendredis soirs, dit-il, les joueurs arrivent chez nous et ils entrent souvent sans sonner! On joue dans mon sous-sol.»

Il est déjà fébrile en prévision du tournoi annuel de sa ligue - le Rosemont Open 6 - qui se tiendra le 27 janvier au centre Père-Marquette. Les trophées et les médailles attendent les gagnants...

Stimuler les jeunes par le jeu

Bien que le hockey sur table demeure une activité «sociale» pour adultes, Carlo Bossio constate que les jeunes, dans les écoles, s'exercent de plus en plus à ce jeu durant leurs temps libres.

Le mordu de hockey sur table - qui fabrique également des tables avec son frère Gino - aimerait voir un plus grand nombre d'écoles proposer cette activité divertissante faisant appel à la coordination des mains et des yeux.

«Si ça peut aider des jeunes qui n'aiment pas l'école à ne pas décrocher parce qu'ils trouvent de la satisfaction à jouer au hockey durant leurs temps libres, ce serait déjà ça de pris», dit-il.

«Mais je ne fais pas ça pour l'argent, tient à préciser le travailleur d'usine, dans l'est de la ville. Le hockey sur table, c'est ma passion depuis plus de 20 ans.»

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE