Ils sont plus petits et moins tendance que la plupart des marchés publics. Mais les marchés communautaires ont quelque chose de plus : une mission sociale. Dans le quartier Centre-Sud, le marché Frontenac s'attaque depuis 2008 à « la culture de la pauvreté «. Une carotte à la fois..

Il n'y avait plus un seul baklava disponible, à peine passé midi, à l'étal de gastronomie algérienne. À deux pas, Maria faisait encore griller ses quesadillas au fromage mexicain. À l'éventaire voisin, un producteur bio vendait ses tomates tout en donnant de précieux conseils sur l'utilisation de conifère dans le bain, à des fins thérapeutiques. Non, ce brouhaha alimentaire ne se déroulait pas dans un chic marché public de Montréal, mais au coin des rues Ontario et d'Iberville, samedi dernier. Pour la deuxième année, le tout petit marché Frontenac s'y est installé. Un marché nouveau genre, le marché communautaire, où l'on fait beaucoup plus que vendre des carottes et des radis...

 

Le Centre-Sud n'est pas bien pourvu en ressources alimentaires. Dans ce quartier toujours cité en exemple dès qu'il est question de pauvreté, il y a peu d'épiceries et beaucoup de dépanneurs. Le marché Frontenac a pour voisins les restaurants Subway, McDonald's, La Belle Province et Tim Hortons. Résultat: les résidants de ce quartier pourtant démuni se retrouvent avec la note d'épicerie la plus élevée de Montréal. Et, inversement, de faibles valeurs nutritives dans le panier.

Une situation assez invraisemblable pour que des organismes communautaires du coin se disent qu'un marché était un outil de développement socioéconomique tout désigné. Le premier marché communautaire de Montréal est né en 2008, fruit du travail acharné d'un groupe d'intervenants visionnaires.

La clientèle est à l'image du quartier: mixte. «C'est vrai que dans un premier temps, on attire davantage les gens qui sont déjà habitués aux marchés publics», explique René Chabot, de la Table CIGAL, l'organisme local voué à la sécurité alimentaire qui est à l'origine du marché. Dans le Centre-Sud, près de la moitié des ménages ont un revenu annuel sous les 30 000$. Le quart des familles sont monoparentales.

Une fois l'idée lancée, le premier défi à relever était de trouver des producteurs commerçants, la multiplication des marchés publics ne favorisant pas le recrutement. Avec le mandat particulier du marché, l'équipe de direction les a choisis avec soin. L'offre est aussi différente que les gens qui défilent sur place. La poissonnerie La Mer a accepté d'installer un petit étalage, même s'il n'y a clairement pas de fortune à y faire. Les organisateurs y tenaient. On sait que la consommation de poisson est bien en deçà des recommandations de santé publique, surtout dans les milieux défavorisés. Alexander Meletakos, le poissonnier de service, sait très bien à qui il s'adresse. Il apporte toujours un produit de la semaine, du turbot du Québec, samedi dernier. Mais il y a aussi du homard à acheter vivant ou cuit, pour ceux qui peuvent se le permettre.

Même philosophie à l'étal de fruits voisin où l'on ne se gênait pas pour vendre des cerises, mais en petites quantités.

La semaine dernière, un groupe de femmes d'origine algérienne vendaient des délices de leur coin du monde. C'était la délégation la plus imposante, avec 11 femmes et enfants derrière la petite table. Ils se trouvaient entre des représentantes d'une coopérative verte qui offraient lait de soya et jus frais à prix d'ami et l'éventaire de Jacques Machabée, producteur biologique multidisciplinaire qui est aussi présent au marché Jean-Talon, mais qui vend ses fruits, légumes et marinades moins cher au marché Frontenac, par conviction personnelle.

Sa ferme de Saint-Chrysostome produit 42 variétés de légumes. «On n'est pas ici pour faire de l'argent, dit le producteur aux bretelles John Deere. On le fait pour montrer aux gens qu'il faut bien manger.» M. Machabée n'est d'ailleurs pas avare d'information sur les valeurs nutritives et médicinales de ses pissenlits, de sa livèche, de son ortie et de son oseille, des plantes qui demandent tout de même un certain savoir-faire pour être cuisinées.

Communautaire, mais pas misérable

C'est aussi une des caractéristiques de ce marché qui est peut-être petit et communautaire, mais qui n'est surtout pas misérabiliste. Au contraire. «Il y a pire que la pauvreté: il y a la culture de la pauvreté», estime Brigitte Leclerc, qui est commerçante au marché Jean-Talon et qui participe au marché Frontenac, aussi par conviction.

«Le commerce est très conciliable avec une mission sociale, dit-elle. Redonnons aux gens un marché public comme il y en avait il y a 50 ans. Il y a eu un embourgeoisement des marchés publics à Montréal, avec Jean-Talon et Atwater où le produit du terroir a volé la vedette. Le marché public est à l'origine un endroit de rencontre. C'est le meilleur lieu de rassemblement.»

L'une des missions du marché communautaire est aussi d'attirer sur place des gens qui ne s'y risqueraient pas d'eux-mêmes.

«On essaie de rejoindre les familles monoparentales, les gens seuls», explique Julie Aubin, agente de mobilisation pour le marché. Il est aussi question d'aborder des personnes âgées et de mettre en place un service de livraison de leurs emplettes, offert par des bénévoles. Les intervenants ont un autre défi: convaincre une nouvelle clientèle que des ingrédients locaux sont un meilleur achat que le hamburger vendu pas très loin, pour le même prix que trois petits concombres bios. Pas simple.

Pour compléter le tableau, une banque alimentaire voisine devrait se joindre à la mêlée dès cette semaine. Les participantes cuisineront davantage la semaine pour y vendre leurs créations le samedi. Il est aussi question qu'elles servent de la soupe chaude, pour les samedis gris de l'été.

Le marché fait des petits

Le marché Frontenac risque de faire des petits à Montréal. L'année dernière, la table de concertation du Faubourg Saint-Laurent a fait des essais, en collaboration avec les producteurs commerçants du marché Frontenac. L'expérience a été assez concluante puisque cette année, deux nouveaux micromarchés communautaires sont nés. Le premier se tient au pied des Habitations Jeanne-Mance, le jeudi. «Il y a 1700 résidants dans ce HLM, explique Agnès Connat, de la table de concertation du Faubourg, qui pilote le projet. La moitié abrite des personnes âgées et dans l'autre moitié, il y a une grande proportion de familles immigrantes. C'est une population qui est très casanière, alors on pense vraiment que le marché va faire une différence pour eux et qu'ils vont augmenter leur consommation de fruits et légumes.»

Le second petit marché se tiendra cet été au parc Émilie-Gamelin le lendemain. Et pour respecter le mandat communautaire de l'entreprise, ce sont des résidants des Habitations Jeanne-Mance qui vendent les fruits. Une maman de sept enfants s'est lancée dans la vente, ainsi qu'une jeune adolescente d'origine bangladaise qui tient un étal au parc Émilie-Gamelin.