Si vous mangez dans un restaurant Piazzetta, vous pouvez assaisonner votre pizza avec du poivre équitable provenant d'une coopérative indienne. Si vous achetez la Galette du Monde chez Première Moisson, 25 cents seront versés à un organisme humanitaire. Pour chaque boîte de céréales Shredded Wheat vendue, la compagnie Post en donnera une autre à une banque alimentaire.

Les grands de l'alimentation ont-ils trouvé une nouvelle corde sensible?

«C'est ce qu'on appelle le marketing engagé», note Pascal Thériault, professeur au département d'agroéconomie à l'Université McGill. Permettre au consommateur d'acheter sa bonne conscience en même temps qu'une boîte de soupe. «C'est le nouveau point faible des consommateurs et pour les multinationales de l'alimentation, c'est une occasion de leur dire: regardez, nous ne sommes pas de méchantes grosses compagnies. La preuve? Nous allons faire un don si vous achetez notre produit!»

 

Selon le professeur Thériault, le procédé est assez efficace puisque devant deux produits comparables, le consommateur aura effectivement tendance à mettre dans son panier celui qui est orné du ruban rose.

Cette philanthropie alimentaire se multiplie sur les tablettes et la chaîne spécialisée Food Channel l'a même placée dans ses grandes «tendances» pour 2009, rappelle le professeur montréalais.

Plusieurs courants, plus ou moins valables, se retrouvent maintenant sous le parapluie de l'achat responsable. Le commerce équitable était le premier à y être.

«Depuis une quinzaine d'années, les mouvements comme celui du commerce équitable ont donné une valeur ajoutée aux produits», explique Marie-France Turcotte, professeure au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l'UQAM. Ce faisant, ils ont mis en opposition les produits qui sont équitables et les autres qui ne le sont pas, explique-t-elle. Cet engouement que l'on voit pour le marketing engagé est peut-être une réaction normale de la part des multinationales dont les produits étaient exclus du commerce équitable.

Mais ce ne sont que des signaux, précise Marie-France Turcotte. «Un don ou un engagement auprès d'un organisme est un geste ponctuel, mais ça ne dit rien sur la façon dont une compagnie fonctionne. Est-ce qu'elle se questionne sur ses fournisseurs? On ne le sait pas.»

Selon elle, cet effet pervers était inévitable. Au départ, le commerce équitable veut remettre au producteur une part plus juste des profits de la vente de ses récoltes. Rapidement, de critiques issues du commerce équitable, a pris naissance et le mouvement «éthique» ajoute la dimension communautaire. Il faut aussi un engagement dans le milieu de vie du producteur. Il faut plus qu'un prix plancher.

D'autres mouvements commerciaux de rechange ont aussi ajouté la dimension écologique. Avec de nombreuses prétentions, avec ou sans logo.

«Nous avons observé une multiplication des standards et une multiplication des certifications, explique Marie-France Turcotte. Malheureusement, cela amène aussi un bon lot de confusion chez les consommateurs. Même nous, chercheurs, on a du mal à s'y retrouver!»

La multiplication et l'élargissement du concept de commerce éthique crée inévitablement de la confusion, admet aussi Andréanne Leclerc-Marceau, du groupe Équiterre. Comme c'est aussi le cas avec les produits verts. C'est ce qu'on appelle le «fair washing», explique-t-elle. Un concept que l'on pourrait (librement) traduire par le «lavage de cerveau de l'équitable» ou l'inévitable reprise par les entreprises privées d'un très bon filon marketing. Parfois, les initiatives sont tout à fait louables. Parfois, elles le sont moins.

Même Équiterre s'avoue dépassé par ce qui est devenu un véritable commerce de la bonne conscience. Le groupe appuie la Quinzaine du commerce équitable qui a débuté la semaine dernière, mais ne soutient qu'une seule certification, Transfair Canada. Le groupe compte passer sous la loupe toutes les certifications qui s'apparentent de près ou de loin au commerce «durable» et qui se retrouvent au Québec. La tâche va être ardue. D'autant que les chercheurs espèrent aussi faire une évaluation de l'impact de ses différents programmes sur les communautés de producteurs, dans le Sud, lorsque cela s'applique.

«Notre défi, maintenant, est de donner de l'information aux citoyens pour qu'ils puissent faire des choix éclairés», explique Andréanne Leclerc-Marceau.

Et ce sera aussi à eux de bien mettre dans leurs paniers ce qu'ils veulent. Si une grande multinationale du café fait grand cas de son arrivée dans le commerce équitable, mais que dans les faits, elle n'achète que 5% de son café de fermes certifiées? «On peut alors se demander d'où viennent les 95% restants, fait remarquer Andréanne Leclerc-Marceau. Peut-être qu'il vaudrait mieux encourager une entreprise qui a des pratiques plus éthiques. Et même acheter son café dans un commerce éthique. Mais si ce consommateur n'achetait pas du tout de café équitable, alors peut-être que ce café certifié équitable d'une multinationale est une première étape intéressante.

«Comment se situe-t-on face aux multinationales qui veulent profiter de ce marché-là? demande Andréanne Leclerc-Marceau. C'est une question à laquelle on n'a pas de réponse encore.»