Que seraient nos salades si le vinaigre n'était pas là pour les réveiller? Et que ferait-on d'une raclette sans cornichon pour structurer chaque bouchée? L'acidulé occupe une place cruciale en cuisine, que ce soit dans les sauces, les marinades ou parmi tous ces ingrédients qui charpentent nos recettes préférées. Oublions le salé et le sucré. Parlons vinaigré.

J'étais certaine que Michel Troisgros aimerait bien notre cidre de glace québécois. Traits acidulés, originalité, exotisme... Tout pour plaire au célébrissime chef français. Mais quand je l'ai vu croquer en souriant des canneberges fraîches sans le moindre gramme de sucre pour les adoucir, là j'ai compris que ce n'était vraiment pas de la frime. L'homme est indéniablement sur un véritable «trip d'acide» !

 

Michel Troisgros, pilote de la grande maison française Troisgros, en Bourgogne, qui s'est fait connaître il y a plus d'une trentaine d'années quand elle est devenue l'épicentre de la nouvelle cuisine française, était à Montréal la semaine dernière. Il est venu cuisiner un repas spécial organisé par la Fondation de l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ), afin d'amasser de l'argent pour des bourses destinées à envoyer de jeunes chefs étudiants en stages dans de grandes maisons du monde entier - membres du réseau Relais et Châteaux, comme Troisgros, Toqué! , French Laundry et compagnie.

Ainsi, le 22 avril, pour 1250$ par personne, 236 convives ont donc pu goûter aux confections du chef: foie gras aux champignons et aux oignons marinés, cabillaud à l'eau de tomate, agneau aux épices brûlées, pommes confites en carpaccio. C'était acidulé, c'était exquis, et avec les encans et autres activités de financement organisées pour l'occasion - un événement qui sera maintenant annuel - la soirée a permis à la fondation de l'ITHQ de récolter 291 000$.

 

Nom étoilé

Organiser un tel événement, à ce point chic et cher, n'est pas facile. Mais chez les «foodies», le nom Troisgros est mythique. En l'entendant, tout le monde pense à la nouvelle cuisine des années 70, cette approche épurée axée sur la très grande fraîcheur des produits, qui a libéré la gastronomie française de ses lourdeurs, autant côté sauces, que cuisson, présentation ou service.

Aujourd'hui, Michel Troisgros continue dans cette lignée, mais comme le montre son dernier ouvrage intitulé La cuisine acidulée (éditions Le Cherche midi), il continue de chercher de nouvelles voies et se plaît actuellement à jouer dans le champ de l'aigreur et de l'acidulé, un univers fondamental de la cuisine française.

«Oui, je suis accro à l'acide», me dit-il en riant en entrevue. «C'est important pour la structure, pour la fraîcheur. J'adore et c'est important.»

Vinaigres et condiments en marinades se retrouvent donc un peu partout dans ses plats, tout comme les agrumes ou les fruits. Parmi ses chouchous du moment, il y a l'épine-vinette, un petit fruit moyen-oriental acidulé et parfumé que l'on fait sécher et qui est utilisé en cuisine perse notamment pour assaisonner le riz. Le citron-caviar a aussi été une belle trouvaille récente, dit-il: un citron trop sec pour en faire du jus, mais qui se défait en petites graines contenant chacune une note acidulée, qui éclatent sous la dent comme du caviar.

Photo: Jérôme Aubanel, collaboration spéciale

Michel Troisgros, chef du restaurant Maison Troisgros.

«Le producteur qui nous fournit ces citrons travaille avec toutes sortes de variétés anciennes d'agrumes que l'on redécouvre. C'est fascinant.» Au menu du repas de l'ITHQ, la palme de l'acidulé revenait sans doute au dessert: une glace au basilic cachée sous une très fine rosace de tranches de pomme, rouges longuement marinées dans le jus de framboise, et caramélisées.Dans son livre, il parle aussi de canard à la rhubarbe, de velouté de châtaignes à la pomme granny smith, de homard rôti à la grenade...

Le prochain ouvrage de M. Troisgros, qui doit sortir en mai, portera cette fois sur la cuisine italienne, plus ménagère que la française, mais qui a néanmoins porté l'enfance du chef puisque sa grand-mère était du pays voisin. Pendant que papa et grand-papa et oncle Troisgros récoltaient les étoiles Michelin et les points GaultMillau au restaurant, c'était donc cette cuisine que l'on mangeait à la demeure Troisgros. Pas de la sole à la ciboulette.

Cette cuisine italienne, «cette cuisine de femmes», explique Michel Troisgros, l'a inspiré notamment parce qu'elle permet de redécouvrir l'amertume.

«Les Italiens sont très forts pour tout ce qui est amer avec toutes leurs liqueurs à base d'artichauts, leurs salades amères, leurs agrumes...» On pense aussi au radicchio, aux rapinis, à la roquette.

«Encore plus que l'acidulé, l'amertume c'est un goût pour les grands, pour les gens qui ont une expérience de la cuisine, qui savent goûter. Ce n'est pas pour les enfants. Mais on fait des choses fabuleuses avec l'amertume. Ça aussi, moi j'adore.»

Photo: Jérôme Aubanel, collaboration spéciale

Asperges vertes de Provence à la menthe, à l'anchois et au piment.