Il ne fallait pas une très grosse boule de cristal pour le prévoir: c'est au tour des fromages fins, toutes origines confondues, de subir une baisse de leurs ventes. Une baisse de 15% à 20%, évalue Yannick Achim, propriétaire de quatre boutiques de fromages.

«Tout le travail de démocratisation des fromages fins qu'on a fait depuis des années est maintenant à refaire», dit-il. Selon lui, avec l'augmentation du prix des aliments, une partie des clients ont simplement cessé, temporairement, de s'offrir un bon fromage.

La tendance est aussi remarquée du côté de la production. Chez Agropur, on ne note pas de diminution des ventes en termes de quantité, mais on a certainement remarqué un déplacement dans les catégories de produits. Et c'est évidemment les fromages fins qui sont perdants. «On sent qu'il se passe quelque chose», confirme Jean Brodeur, du groupe laitier. Agropur va donc réinvestir dans la promotion de sa gamme de fromages fins.

Pour les petits artisans québécois, la situation est plus critique puisqu'ils ne font que du fromage fin. Aucune compensation possible par de la mozzarella en tranches ou un paquet de feta format familial. «Les fromages artisanaux, c'est un bien de consommation de luxe», dit Louis Arsenault, de la fromagerie des Grondines et président de l'Association des fromagers artisans du Québec. Plusieurs sentent la diminution dans les commandes. Et ce n'est pas le meilleur moment pour ceux qui se remettent difficilement de la crise de la listériose de l'automne 2008.

Louis Arsenault regrette aussi la confusion qui existe entre les fromages fins du Québec et ses fromages artisanaux. «Le gouvernement fait la promotion des fromages fins et il le fait très bien, dit-il. Mais ça ne nous concerne pas. Nous ne représentons pas 1% des ventes de fromages fins du Québec.» La majorité des fromages de spécialité sont le fruit d'industriels laitiers.

«Ça va vraiment mal pour les fromages artisanaux du Québec», avoue aussi André Piché, propriétaire du Maître Corbeau de Montréal et président de l'Association des fromagers-marchands du Québec. Il confirme la baisse de 20% pour les fromages fins cette année. Preuve que les affaires vont moins bien, dit-il, les grands fournisseurs offrent maintenant des rabais sur certains fromages importés. Un autre luxe que ne peuvent s'offrir les fromagers d'ici.

Le prêt-à-manger, même dans les rayons des produits laitiers!

Quelle est la catégorie de fromage qui connaît la meilleure croissance? Les fromages artisanaux? Que non! Si les industriels laitiers se frottent les mains présentement, c'est que les fromages râpés sont les meilleures affaires depuis des années. L'année dernière, ces paquets de fromage en sacs qui se ferment après usage ont rapporté 244 millions de dollars à leurs fabricants canadiens, selon une étude de la firme Nielsen. Une augmentation de 13% par rapport à l'année précédente, note aussi le mensuel Canadian Grocer qui s'intéresse aux tendances dans les allées d'épicerie. Et le fromage déjà râpé en est définitivement une. D'abord, il y a eu la mozzarella râpé, pratique pour la lasagne. Puis, des mélanges de quelques fromages ce qui plaisait énormément aux consommateurs qui n'avaient plus à acheter trois ou quatre briques de fromage pour un seul plat et gérer les restants. Depuis quelques années, les grandes laiteries ont aussi lancé des feta ou des bleus en morceaux, toujours dans le but de faire économiser du temps à leurs clients qui n'aiment pas laver la râpe et la planche. On trouve maintenant aussi des mélanges assaisonnés de piments pour les nachos ou d'herbes pour les plats italiens. En récession, les consommateurs préféreront-ils débourser un peu moins et préparer eux-mêmes leur fromage? Pas sûr...