En alimentation, comme dans toute autre branche du commerce de détail, en plus de payer le produit, le client paie aussi pour une expérience. S'il le veut. En temps de récession, certains consommateurs commencent à se questionner sur le prix de l'emballage.

D'autres pas. Mardi soir, après le travail, une chic boucherie du Plateau-Mont-Royal était pleine à craquer. L'ambiance était très sympa. Le boucher donnait des conseils judicieux, servait ses clients avec empressement. Et hop, pour 57$ le kilo, il vous emballait un petit filet mignon.

 

Toujours à Montréal, à l'autre bout de la ville, une épicerie libanaise vend son filet mignon trois fois moins cher.

Pourquoi? Dans ce cas précis, on pourrait parler de la qualité du produit, si la classification et la provenance de la viande étaient clairement indiquées dans les comptoirs des boucheries. Ce qui est loin d'être le cas. Lors de notre petite tournée, personne, à part ce boucher du Plateau-Mont-Royal, n'a pu nous donner l'origine et la catégorie de la viande. Impossible de savoir d'où provenait la viande en épicerie.

Quant à la qualité, les consommateurs ne doivent pas comparer des pommes et des oranges, explique Sonia Dumont de la Fédération des producteurs de bovins du Québec. La viande est classée selon le «persillage», ces petites fibres blanches qui rendent la viande plus juteuse et tendre. Les clients qui sont heureux de trouver une pièce toute rouge et uniforme achètent du boeuf de moins bonne qualité, sans le savoir. Et parfois plus cher. À 57$ le kilo, la boucherie de Montréal propose du boeuf canadien de catégorie AA alors que le magasin grande surface de banlieue propose, pour la moitié du prix, de la viande de qualité supérieure, Canada AAA. «Il y a aussi une question de volume», précise Mme Dumont, pour expliquer cette grande différence de prix.

L'effet Starbucks

Outre les coûts d'exploitation qui sont certainement très différents d'un endroit à l'autre, «l'emballage» explique l'énorme disparité des prix. C'est ce qu'on appelle «l'effet Starbucks»: payer davantage, plus consciemment qu'inconsciemment, pour faire partie d'un groupe de consommateurs privilégiés, qui s'offrent la crème de la crème. Et qui l'affichent.

La crise appelle à une révision de cette façon de consommer. «Les consommateurs ont oublié ce qu'était le budget familial», explique Jacques Nantel, professeur de marketing à HEC Montréal.

Depuis quelques années, les consommateurs achètent tout à crédit, même l'alimentation, dit-il. Ils vont dans ces magasins très haut de gamme sans trop se demander pour quoi ils paient exactement. La réduction des marges de crédit signifie aussi pour certains d'entre eux une réduction de la naïveté.

En commerce, explique le professeur d'HEC, c'est ce qu'on appelle les «produits périphériques». C'est l'extra, qui justifie de demander plus cher au client pour le même produit. Et en temps de récession, les consommateurs hésitent à payer pour cet extra.

«Il y a 25 ans, il y avait deux types de clients, dit Jordan Lebel, professeur à l'école de gestion John-Molson de l'Université Concordia: ceux qui magasinaient chez Holt Renfrew et ceux qui magasinaient dans les magasins à un dollar. Et les deux ne se mélangeaient pas.» Maintenant, et plus que jamais, le client Holt Renfrew en veut aussi pour son argent. En alimentation, les clients qui ne regardaient jamais la facture commencent à se poser des questions sur le prix de leur épicerie, dit Jordan Lebel.

Est-ce la fin des commerces de ce créneau?

Ce serait sous-estimer le pouvoir psychosocial des commerces haut de gamme, estime Jordan Lebel, ainsi que le génie créateur des gens de marketing.

Les commerces qui vont pouvoir prouver que la qualité du produit est supérieure s'en tireront mieux, dit aussi Jacques Nantel. «Mais pour ceux qui ont beaucoup misé sur ces produits périphériques, ce sera plus difficile», ajoute-t-il.

Le client exigeant, mais désormais averti, paiera davantage pour une tarte aux pommes biologique, mais pas pour une tarte aux pommes régulière qui a un joli emballage. «Les gens veulent maintenant optimiser chaque dollar», précise Jacques Nantel.

Pour l'instant, on voit que les consommateurs ne modifient pas vraiment leurs habitudes de consommation, mais ils vont changer de catégorie de produits, explique Jacques Nantel. «Ils vont donc toujours acheter de la viande, mais vont plutôt aller au Costco», dit-il. C'est un déplacement de consommation. Si la crise perdure, les gens vont changer leurs habitudes de consommation. «C'est ce qu'on voit actuellement aux États-Unis. Depuis six mois, la consommation de boissons alcoolisées a diminué de 11%. Celle de viande rouge, de 5%.»