Durant l'une des plus longues guerres civiles d'Afrique, les rebelles du Sud-Soudan ont combattu au nom des nobles objectifs de liberté et d'égalité. Mais ils se sont aussi battus pour le droit de boire une bière.

Si bien que les préparatifs en vue du lancement près de Juba, la capitale du Sud-Soudan, de la première brasserie commerciale de la région depuis la guerre civile suscitent un grand intérêt.

«Nous attendons avec impatience de pouvoir goûter notre propre bière», avoue Joseph Deng, un ancien combattant, en sirotant une bière importée du Kenya. «La guerre, c'était pour la liberté. Mais ça veut aussi dire le droit de boire de l'alcool et de ne pas être soumis à une autre religion».

Durant la guerre, qui a opposé pendant 22 ans des rebelles issus du sud à majorité chrétienne ou animiste et le gouvernement musulman à dominante arabe du nord, l'alcool était interdit au Sud-Soudan, soumis à la charia (loi islamique.

Jusqu'à l'accord de paix de 2005, la guerre a fait plus de deux millions de morts et environ quatre millions de déplacés.

Southern Sudan Beverages, filiale du géant mondial SAB Miller, a nécessité 37 millions de dollars d'investissements et aura une capacité quotidienne de 150 000 bouteilles.

«Nous avons mis au point une bière fraîche, un peu amère, qui étanche la soif et est spécialement adaptée au climat», explique Ian Alsworth-Elvey, son directeur général.

Il jure que le breuvage «fera plus que rivaliser» avec ses concurrentes. «Toutes les bières sont bonnes mais certaines sont meilleures que d'autres», assure-t-il.

La brasserie occupe un bâtiment de 7400 m2. Des sacs de malt et des tonnes de sucre, ingrédients clé de la bière, sont empilés très haut.

La première bière commencera à être brassée «dans les jours qui viennent», ajoute le directeur général. Le processus dure cependant 18 jours et les premières bouteilles ne devraient être ouverte dans les bars qu'en mai.

La dernière brasserie du Sud-Soudan avait été détruite dans les années 1970 lors d'une précédente guerre civile.

Si la consommation d'alcool est toujours sévèrement punie dans le nord, la bière coule à flots dans le sud, venant d'Ouganda, du Kenya et même d'Europe. Mais le coût du transport rend son prix prohibitif (deux dollars environ dans un bar) pour les habitants, dont 90% vivent avec moins d'un dollar par jour, selon les chiffres de l'ONU.

Pour le directeur général, il s'agit d'une nouvelle étape vers une plus grande sécularisation et l'émancipation du Sud semi-autonome, qui doit voter par référendum en 2011 sur l'indépendance.

La population «devrait la considérer comme une victoire vers le droit à l'auto-détermination», estime-t-il.

La brasserie, qui emploiera environ 250 personnes, dont 80% de Soudanais du Sud, constitue aussi une étape sur la voie de la reconstruction. «Bien que petite par rapport aux normes internationales, c'est de loin la plus grande industrie du Sud-Soudan», poursuit M. Alsworth-Elvey.

Le nom de la bière restera secret jusqu'à son lancement officiel mais il aura «un sens pour la population» de la région, assure-t-il.

Dans un bar de Juba, des buveurs se livrent à des spéculations.

«Dr John Garang», lance l'un d'eux, en référence à l'ancien icône rebelle et premier président du Sud-Soudan, mort peu après l'accord de paix en 2005.

Mais un autre buveur, William Sebit, n'est pas d'accord. «La "Bière Béchir", ça serait mieux», rigole-t-il, évoquant le président soudanais Omar el-Béchir, ancien ennemi juré du Sud.

Puis, il redevient sérieux. «Un bon choix serait "Liberté", car elle symbolise notre liberté», dit-il.