Paris est-il toujours Paris? Apparemment, Londres et New York ont encore des croûtes à manger avant de remplacer la métropole gastronomique.

Qui ne s'intéresse pas à Paris? Personne n'oserait dire que la ville laisse indifférent. Peu importe la saison, le temps qu'il fait, que le métro soit en grève, que le glacier Berthillon soit fermé pour vacances, que Poilâne manque de pain aux noix ce jour-là, tout le monde aime Paris. Qu'on y vienne pour la première fois ou la 20e, la ville nous rentre dans la peau, à triple vitesse.

 

Aucune ville n'a autant de panache et ne l'impose aussi insolemment. C'est une ville sûre d'elle, à la frontière entre le charme et l'effronterie.

Et il y a une réelle histoire d'amour entre les Parisiens et les Montréalais, qui se trouvent une parenté évidente. Les deux villes sont les plus grandes métropoles de culture française au monde. Il était donc normal que la première soit l'invitée de la seconde pour marquer le 10e anniversaire du festival Montréal en lumière.

Qu'est ce qui se passe côté gastronomie à Paris ces jours-ci? La Ville lumière est-elle encore le phare qu'elle a été ces 300 dernières années, depuis la Révolution ou même depuis Taillevent (qui aurait écrit le premier livre de recettes en français)? Impose-t-elle toujours les standards par lesquels on évalue la grande cuisine, partout sur la planète? S'est-elle affranchie des tendances des dernières 40 années, cuisine nouvelle, cuisine de terroir, cuisine fusion ou cuisine signature? En réalité, la ville de Paris a toujours fait comme elle l'entendait, sans trop se soucier des modes et des tendances promues ailleurs. En un mot, c'est elle qui crée les tendances et les rend incontournables. Quand les Américains ont commencé à s'intéresser au «comfort food» au menu des restaurants chic, au milieu des années 90, les grands chefs français proposaient déjà depuis plus d'une dizaine d'années des plats «terroir» roboratifs, arrachés à leurs campagnes et à leurs régions, après les avoir complètement refaits, allégés ou déclinés en multiples parties.

Le pain au levain? D'abord à Paris avant d'atteindre San Francisco. Les cuisines ouvertes sur la salle? Les salons de thé, les bars à soupe? Les tables réfectoires, les restos-ateliers où les chefs improvisent devant la clientèle, les restos-galeries (d'art), le chocolat haut de gamme, les épluchures, les «Jelly-shots» (apéros en gelée), le retour de la fondue, de la choucroute? Paris encore.

 

La seule chose que les Parisiens peuvent se vanter de ne pas avoir inventé, c'est l'interdiction de fumer dans les lieux publics!Depuis cinq ans, on parle de «fooding». C'est la rencontre des mots anglais «food» et «feeling», passé à la moulinette française, et ça décrit le concept vieillissant de «haute gastronomie» en s'y opposant de manière totale. Gastro c'est trop coincé, trop bourgeois. Le «fooding» c'est d'abord le plaisir, l'émotion, et ça met en scène des restaurants de qualité, mais surtout jouissifs, libres, des lieux qui privilégient le moment présent plutôt que la tradition immuable et codifiée. Et ces restos doivent d'abord être BONS, plutôt que seulement BEAUX. Au-delà du terme, un peu branchouille, il y a tout de même une sorte de «gastronomie alternative» qui, selon le journal Le Monde, cherche à redéfinir l'importance de la cuisine et des vins dans la culture française et à réévaluer le rôle des critiques, des penseurs de la cuisine, des chefs, et le rapport avec une clientèle de plus en plus informée sur le sujet.

Les meilleures nouvelles maisons parisiennes incarnent bien cet esprit de liberté, de créativité retrouvée fait de métissage et de provocation; des lieux comme Ze Kitchen Galerie, dont le chef William Ledeuil sera à Montréal la semaine prochaine pour deux jours de fantaisie culinaire sur le thème de l'Asie rencontre Paris (au resto Duel). Ou le restaurant de Inaki Aizpitarte (Le Chateaubriand) invité à La Montée un soir seulement. Ou Christophe Beaufront, dont l'Avant-Goût, installé dans un quartier perdu, sur la butte aux Cailles, fait parler toute la ville avec son pot-au-feu de cochon aux épices (il prendra d'assaut les petites cuisines du Bouchon de Liège les 24 et 25 février). Ou encore Petter Nilsson, qui en bon Scandinave arrive à réinterpréter les spécialités de la Provence avec un coup de fouet de rigueur et de précision inouïe (il sera aux Cons Servent les 27 et 28 février).

Le Paris invité au festival cette année n'est pas celui des 3 étoilés Michelin (bien que le président d'honneur, Alain Passard, en soit) des maisons assises, archiconnues et archi-chères. C'est un Paris décoincé qui viendra ici. Un Paris sans têtes d'affiche, mais un Paris d'aventure, de bistro chic, de néo-bistrots, de bistro à vin, de maisons de quartier, aussi courues que l'étaient autrefois les maisons centenaires. Car c'est aussi ça la cuisine française d'aujourd'hui: une capacité de se remettre en question, de se réinventer à chaque génération, d'intégrer à la fois les idées nouvelles, les ingrédients inhabituels, les techniques contemporaines (songez à Pierre Gagnaire avec sa cuisine moléculaire) et de les faire siennes en un rien de temps.

RECETTE «TYPIQUEMENT PARISIENNE»

Ce que fait William Ledeuil, du restaurant Ze Kitchen Galerie, étonne, choque parfois, mais ne laisse personne indifférent. Mêler les parfums de l'Asie à ceux de l'Europe ne semble plus un choix tout à fait neuf, mais la «manière» Ledeuil bouscule les attentes. Ce chef libère les anciennes habitudes et pousse la cuisine parisienne vers un futur métissé. En voici un exemple, tiré de son livre Les couleurs du goût, paru au Seuil en 2004. M. Ledeuil cuisinera au restaurant Duel, les 24 et 25 février.

Velouté de petits pois et krachai, fèves, radis et feta

Pour 4 personnes

Ingrédients

400g (un peu moins de 1 lb) de petits pois frais écossés

10 rhizomes de krachai *

3 tiges de citronnelles

500 ml (environ 2 tasses) de bouillon de volaille

60 ml (1/4 de tasse) d'huile d'olive

Sel et poivre

50 g (1,80 onces) de fèves (appelées gourganes chez nous)**

6 radis rouges

80 g (3 onces) de feta (remplacée par de la crème acidulée)

Zestes de 2 citrons (blanchis et hachés)

3 brins de ciboulette chinoise ciselée (ou ciboulette normale)

Huile d'olive fruitée

Fleur de coriandre (ou des feuilles finement hachées)

Sel et poivre

Préparation

1. Commencer par le velouté. Prendre du krachai aussi frais que possible: il a tendance à durcir avec le temps et perdre ses arômes. Le rincer sous l'eau pour éliminer les restes de terre, puis le peler en le grattant avec un couteau. Couper en deux puis retirer la partie centrale plus dure. Émincer le tout et réserver. Pas de krachai chez vous? Essayez avec un peu de gingembre, mais beaucoup moins!

2. Enlever la première couche de citronnelle d'un bâton de citronnelle si nécessaire, puis écraser avec la paume de la main pour que les saveurs sortent bien. Émincer (coupée en biais, elle se défera plus facilement) à l'aide d'un bon couteau. Dans une casserole, amener le bouillon de volaille à ébullition avec la citronnelle et le krachai.

3. Faire cuire les petits pois dans un grand volume d'eau salée, puis égoutter. En garder quelques-uns pour la décoration.

4. Mixer les petits pois avec le bouillon, la citronnelle, le krachai et l'huile d'olive. Tamiser dans une passoire fine et écraser bien la pulpe restante pour en extraire un maximum de goût. Rectifier l'assaisonnement puis laisser refroidir le velouté pour qu'il garde sa couleur.

5. Faire blanchir les fèves 30 secondes dans de l'eau salée bouillante, égoutter et laisser refroidir dans un grand volume d'eau, éplucher. Réserver. Découper le radis en fines rondelles, préparer la feta en petits morceaux.

6. Dresser le velouté dans l'assiette, ajouter la feta, les fèves et les petits pois restants, la ciboulette, les fleurs et un peu d'huile d'olive.

*Vous trouverez du krachai frais dans la plupart des épiceries orientales, notamment dans le Quartier chinois.

**On peut trouver dans les épiceries moyen-orientales (les Marchés Adonis par exemple) des gourganes congelées qui feront tout à fait l'affaire dans cette recette.

Photo fournie par La Gazzetta

La Gazzetta du chef Petter Nilsson.