Vous avez été nombreux à nous faire parvenir vos histoires d'amour. Nous avons retenu celle de Lyne Simard  qui nous raconte son coup de foudre dans la région de Québec à bord d'un autobus. Voici son histoire.

Un trajet nommé désir

Janvier. Une aube glaciale se lève sur Québec, un petit masque nocturne sur le nez.  J'attends cette satanée bus (oui oui, je sais, on dit «un bus», mais dans le présent texte, je me permets l'usage de cette expression bien de Québec), donc j'attends cette satanée bus dis-je, qui traîne encore de la patte et qui nous laisse en plan, mes compagnons du matin et moi-même, grelottants, les yeux mi-clos, rêvant de nos draps encore chauds.

 

Je gigue maladroitement pour empêcher l'engelure complète de mes orteils lorsque j'aperçois le gros monstre blanc orné d'un «28» lumineux qui roule enfin vers nous, avec paresse, encore endormi lui aussi.  J'entre la dernière, par nonchalance plus que par courtoisie.  Aucune envie d'entrer en contact avec qui que ce soit par les temps qui courent.  Peu de gens à l'intérieur, un banc seul m'attend.  Je m'y échoue péniblement, encombrée de tout mon attirail d'hiver.

 

Le tas de ferraille démarre enfin et laisse échapper un ronron agonisant, dévalant de peine et de misère les rues enneigées de Limoilou qui s'éveillent peu à peu.  Je fixe le vide, emmitouflée dans mon manteau et ma torpeur, indifférente aux notes qui jaillissent de mon baladeur. Quelques rues plus loin, la bus s'arrête net.  Je Le vois grimper à bord.  La musique qui joue dans mes oreilles devient sourde et lointaine, mes yeux encore collés s'écarquillent et ma bouche s'ouvre, me collant au visage un sale air hébété.  Il est grand, mystérieux, arbore une longue et sombre chevelure nouée en une queue de cheval, des yeux d'un brun profond, une solide mâchoire protégée par une barbe soigneusement taillée, au centre de laquelle se niche une bouche pleine et pulpeuse.   Mon coeur s'arrête.  Jamais, jamais je n'ai posé les yeux sur quelqu'un ainsi. J'ai chaud, terriblement chaud. J'enlève discrètement mon foulard, n'arrivant pas à décrocher mon regard de ce beau ténébreux.  Il traverse le couloir de l'autobus, maintenant bondé de gens emmaillotés, me lance un regard furtif, puis «avance vers l'arrière». 

 

Je suis sidérée.  Je fixe obstinément la fenêtre à côté de moi, bien qu'elle soit cristallisée par le givre, la bouche encore ouverte et les yeux ronds.  Je me lève pour sortir à mon arrêt, me retourne : mon bel adonis s'est volatilisé dans l'air ambiant de ce lundi sibérien. Et si je ne le revoyais jamais? Comment savoir qui il est? Et s'il n'existait pas? Heureusement, ma paranoïa fait fausse route et le même scénario se produit le lendemain et je revis cette scène encore et encore, jusqu'aux beaux jours du printemps.  Chaque matin, il grimpe à bord de l'autobus et chaque matin, je l'observe clandestinement, me demandant à quoi peut bien ressembler la vie de celui qui embellit la mienne par ce simple intermède matinal.

 

Je débute mes vacances par un bel après-midi de juin et j'emprunte le trajet 28 pour retourner chez moi. J'écoute ma musique, plongée dans mon petit univers.  L'autobus s'arrête d'un coup,  la porte ouvre.  Il monte à bord!  Je n'arrive pas à y croire.  Je dois faire quelque chose et vite.  J'arrache mes écouteurs et les envoie le plus loin possible au fin fond de mon sac.  Je suis sortie de mon petit cocon et suis maintenant en alerte. 

 

Je ne trouve absolument rien d'intelligent à dire pour attirer son attention et donc, je décide d'opter pour quelques solutions de «filles», en tout dernier recours : je défais le chignon serré sur ma tête, laissant mes cheveux cascader allègrement jusque dans le bas de mon dos et glisse doucement un peu de baume sur mes lèvres.  Il semble me jeter un léger coup d'oeil, mais je n'ai que mon angle mort comme complice... Je le vois qui s'apprête à sortir avant mon arrêt : qu'à cela ne tienne, cet arrêt sera aussi le mien!

 

Je m'élance vers la sortie, il me cède gentiment le passage, me dévoilant, en grande primeur, son sourire... son sourire... un sourire à me faire oublier mon nom, un magnifique sourire à me faire pratiquement rater «notre» arrêt.  Je sors, puis le vois faire de même, avant de se diriger d'un pas décidé vers le club vidéo au coin de ma rue... mon club vidéo... où je me dirigeais d'ailleurs avant de le croiser... Je décide alors de poursuivre ma route jusque chez moi en le voyant s'engouffrer dans le commerce, me disant que cette approche serait sans doute peu subtile et superflue. 

 

 

Je viens donc de déclarer forfait face à une situation offerte sur un plateau d'argent et là, je suis en vacances pour six semaines...  six semaines sans pouvoir rattraper cette bourde colossale...  Bravo ma vieille!  Bah, autant oublier tout ça... il m'a à peine regardé de toute façon et puis... c'est l'été après tout!

 

Ce fameux été s'étire finalement en longueur et en douleur.  Un chagrin.  Un très gros chagrin me hante. Je sombre.  Mon calendrier a beau s'obstiner à afficher «juillet» jour après jour, je n'ai jamais eu si froid de ma vie.  Rien ne goûte rien et de toute manière, mon corps ne laisse rien entrer et ne veut pas sortir. 

 

Rien ne sent rien, je laisse ma belle Toscane limouloise mourir, ses couleurs et ses parfums ne me faisant plus sourire.  Je ne sens ni ne ressens rien.  Rien.  Le retour au boulot au mois d'août est un salut.  Il incarne une routine, une certaine discipline et une motivation à sortir de mon chez-moi et de mon mutisme, ne serait-ce que quelques heures par jour.  Ça me donne l'impression de reprendre les cordeaux de mon existence, même un peu.  Je fais à nouveau le trajet d'la 28, matin et soir.  Toujours rien.  Je suis une machine à travailler, à torcher, à payer des factures et à dormir... trop dormir... En un clin d'oeil, septembre passe le flambeau à octobre.  Eh bien.  Rien.

 

Chaque jour, je m'assois machinalement dans ce gros véhicule bondé qui me conduit à un endroit où je m'efforce de mener ma vie et de la gagner.  Ce matin-là, comme tous les autres depuis belle lurette, est donc une putain de déception.  Pourquoi m'être réveillée?  À quoi bon?  J'étais bien dans mon sommeil, j'arrêtais de souffrir au moins quelques heures.  Pourquoi diable m'être réveillée?  Pourquoi?  Je me recroqueville dans mon siège, comme pour m'enlacer moi-même, me consoler un peu.  J'attends tout simplement d'arriver à bon port...sans goût, ni dégoût.  Rien.  Mes yeux s'agrandissent, je me raidis sur mon siège.  Il est là. 

 

Je ne me souvenais même plus de son existence tellement mon spleen estival m'avait dépourvue de toute sensibilité à la beauté, à la vie.  Maintenant, il est là et bien là, dans toute sa splendeur et pour la première fois depuis des mois, je ressens quelque chose : je ne sais pas ce que c'est, mais je ressens bel et bien quelque chose. 

 

Mon corps n'est que picotements, comme réveillé après une trop longue hibernation, comme un pied engourdi... c'est d'ailleurs comme ça que je me sens :comme un gros pied engourdi.. Je suis ridicule...  Il ne me voit même pas.  Il ne sait même pas que j'existe!  Il doit être avec quelqu'un de toute manière... rien qu'à voir, on voit ben!  Franchement ma vieille... t'es-tu vue?  Tu fais peur!  Pas juste parce que t'es cernée et blême, mais parce que l'énergie qui se dégage de toi depuis des semaines n'attirerait même pas une grippe! T'as beau avoir fondue comme neige au soleil à force d'avoir d'la peine, ça change rien au fait que ton aura a piqué une course vers le Pôle Nord!

 

Je me contente de le regarder, avec le plus grand des plaisirs.  Il descend au centre-ville, toujours au même endroit, puis s'engouffre illico dans le dépanneur situé à deux pas.  C'est un jeune homme rigoureux et appliqué.  Il reproduit chaque jour la même chorégraphie.  Étrange... il y travaille peut-être?  Et sinon, il bosse assurément dans le coin.  Ou alors il étudie?  Je ne crois pas.  Pas de sac, pas de bouquins, juste un parapluie par temps gris.  Que va-t-il donc acheter comme ça tous les matins?  Quelque chose à manger?  «Si c'est le cas, il est sans doute célibataire, ou alors il a une blonde qui fait coller de l'eau au fond des casseroles», que je me dis, gloussant discrètement dans mon coin.  Quelque chose à lire? C'est bon ça! Un liseur de journal tiens!  Il est curieux alors! Yé! 

 

Je m'évade comme ça tout le long du trajet, perdue dans mes pensées aussi saugrenues qu'inutiles, mais elles me font du bien ces pensées, elles me font sourire ces pensées, même bêtement devant tout le monde et elles me font me lever tous les matins ces pensées, car il n'est maintenant plus question que je rate cette bus, ni ce jeune homme intrigant.  Une semaine s'écoule, une semaine d'observation et d'excitation, qui atteignent leur paroxysme ce fameux matin d'octobre.  Cette sale conserve roulante semble aller plus vite qu'à l'accoutumée pour une fois et je désespère de trouver un moyen d'entrer en contact avec mon «beau jeune homme d'la 28».  L'arrêt auquel il sort approche.  La sonnette retentit.  Un petit attroupement se créé autour de la porte...

 

Qu'est-ce que je cocotte? Non mais qu'est-ce que tu fais? Tu fonces? Tu restes là à rêvasser?  Tu arrives en retard au boulot ou tu prends une chance de remettre ta vie à l'heure? Tu fonces?  Zut... Oui?  Non?  Les portes s'ouvrent.  Il descend.  Puis une autre personne descend, puis une autre.  Qu'est-ce que je fais?! 

 

Le tout pour le tout.  Je bondis sur mes pieds et passe par la mince ouverture des portes qui se referment.  Il entame sa dizaine de pas rapides jusqu'au dépanneur.  Je lorgne la scène du coin de l'oeil.  Il s'arrête net, me regarde et entre dans le commerce.  Mon coeur bat la chamade.  Je tremble et espère qu'une autre bus arrivera sur-le-champ afin que je puisse disparaître.   Je fais les cent pas, regarde furtivement à l'intérieur pour voir où il est et si j'ai le temps de fiche le camp. 

Après quelques miettes d'éternité, je vois enfin une bus qui approche, je me prépare à entrer, mais le jeune homme dévale l'escalier du dépanneur et me jette un petit regard amusé, avant de reprendre sa route d'un pas décidé.  Je monte péniblement dans le véhicule bondé, rattrape un poteau et mon souffle, n'osant croire à ce qui venait de se passer. 

 

Oh boy... il m'a regardée... avec petit air amusé, mais bon, il m'a regardée! Oh boy... ok, pas de panique ma vieille... maintenant quoi? Qu'est-ce que je fais? Qu'est-ce que.... 

 

Le jour suivant, j'opte pour une stratégie choc en me tenant à son emplacement habituel dans l'autobus, il sera bien obligé de me voir!  J'essaie de tenir debout malgré la nervosité.  Il entre, m'aperçoit et vient se placer à côté de moi.  L'étonnement se lit sur son visage.  Une petite voix m'ordonne: «Souris bordel!», alors je lui fais un petit sourire maladroit et discret, auquel il répond. Durant tout le trajet, je sens son énergie, je le sens lui, juste à côté de moi, mais suis incapable de le regarder.  Pour la première fois de ma vie, je suis vraiment intimidée.  Son arrêt approche à nouveau et là, la même petite voix renchérit : «Souris un peu plus quoi!».  Je me fends donc le sourire jusqu'aux oreilles, le laissant un peu surpris, mais souriant.   Il descend l'escalier et attend que la bus arrive à l'arrêt.  Mon bras est juste au niveau de son visage et au bout, ma main tremble à en arracher le poteau qui me tient debout.  Les portes s'ouvrent finalement, il descend, me regarde encore une fois, armé de son sourire incendiaire. Les portes se referment et il entre au dépanneur chercher son mystérieux lot quotidien.

 

Les jours qui suivent sont ponctués d'actes manqués.  En effet, chaque stratégie que j'élabore tombe à plat, car ce garçon me dame adorablement le pion de fois en fois.  Comme cette toute première fois où je veux le saluer avant qu'il quitte.  Je me retourne vers lui, je sens que ma bouche va enfin s'ouvrir et que j'aurai le courage de lui parler avant qu'il quitte, je le sens, je trouverai les mots, ce sera mémorable. Il passe devant moi et je l'entends me glisser un «bye...» de sa voix profonde et suave, ce à quoi je ne réussis à répondre que : «blbbleublableu...».

 

Oh chouette! Prodigieux! Le premier contact verbal que tu auras eu avec ce mec aura été un ramassis de balbutiements digne d'une pauvre cloche ivre et illettrée! Bravo!  Non mais, b-r-a-v-o ma grande! Ça passera assurément à l'histoire comme une des grandes tirades romanesques ça!  Non mais eille, quelle envolée lyrique!...

 

Je le regarde du coin de mon oeil gênée tout en me tapant sur le clou suite à ce discours vibrant que je viens de lui offrir.  Il reste là, encore coincé dans l'escalier en attendant que la damnée bus arrive à son arrêt.  Il me décoche un dernier regard et me souffle un autre «bye» envoûtant. 

 

Ça y est.  Ça y est.  Là, c'en est fait.  Je vais y augmenter le coefficient de difficulté de manière fulgurante pour demain, hehehe... mon attaque sera terrible!  Je vais lui poser une question à réponse ouverte du genre: «Salut, ça va?»  Non mais, question témérité, je suis une bête.  Je me pète allègrement les bretelles suite à cette trouvaille et pratique maintes et maintes fois l'intonation recherchée afin de ne pas rater mon impact.

 

Le lendemain, je l'attends de pied ferme.  Les huit rues l'éloignant de mon arrêt me semblent des semaines.  Il entre enfin.  Mon coeur bat à tout rompre.  Je prends une grande inspiration, me tiens le dos droit, lève les yeux et d'un ton assuré je... «Salut, ça va?» qu'il me lance!  Ah non!  Pas encore!  Je dois faire partie d'un projet de télé-réalité du genre «Truman Show» et il lit le texte avant moi celui-là, c'est pas possible!!! J'opine timidement du bonnet et malgré toute ma bonne volonté de maintenir le regard, malgré toute mon excitation, ma panique, elle, me pousse à tourner la tête dans l'autre direction,  juste comme je le vois dans mon angle mort qui se penche pour me parler... mon visage se crispe, je n'arrive pas à croire à ce que je viens faire!

 

Ahhh, c'est pas vrai! ! Cocotte! Qu'est-ce que tu viens de faire encore?! Il veut te parler et tu tournes la tête!? Qu'est-ce que tu fous? Non mais t'as l'ambition de faire un post-doc en bousillage de rencontres potentielles ou quoi?  Trop occupée à m'engueuler moi-même, je passe à un cheveu de rater son départ.  Je dois rapidement trouver quelque chose d'intelligent à dire pour une fois, ou du moins d'intelligible, ça serait un bon début! «Bonne journée»... c'est bon ça, c'est bon en crime ça... on peut pas se tromper en souhaitant une bonne journée à quelqu'un... bon, me reste juste à l'articuler, et en français cette fois.

 

«Passe une bonne journée», qu'il me lance... ce à quoi je n'arrive qu'à répondre, comme vous pouvez sans doute le deviner : «Blleurueublueblblb...» Ben là! Je commence sérieusement à considérer la thèse du complot. 

 

Le jour suivant, je suis survoltée au possible, je m'accroche à mon sac et à mon courage:  «Pas de niaisage ce matin, ça va y aller par là!», que j'me dis.   Il pleut et il fait un froid de canard, mais je ne sens rien de tout ça.  J''entre dans le bus et m'installe au point de rendez-vous, maintenant commun, tout comme le transport qui m'a fait découvrir mon bel adonis.  Je trépigne en voyant toutes les lumières me séparant de lui virer au rouge, juste pour me narguer... Ça y est... il est à l'arrêt.  Une première personne monte, une fille... ah non par exemple.... zut de zut... elle vient se placer à côté de moi!  Eille! Non! J'étais prête moi! .... grblgrblrbl.....

 

Il monte enfin, jette un regard à l'endroit où je me tiens depuis une semaine et... y voit l'autre fille.  Il se poste de l'autre côté et me regarde avec un petit regard penaud, armé de son beau petit sourire craquant.  Je lui rends la pareille, on se «zieute» comme faire ce peut, avec cette femme qui nous sert de barrière.  Il arrive proche de son arrêt, je me retourne vers lui (bien sûr, il en avait déjà fait autant) et on se lance en même temps un «bonne journée» tout sourire et tout confus, avec une touche de déception de ne pas avoir pu faire le chemin côte à côte.

 

Il descend les marches, le bus reste encore accroché à une lumière rouge avant d'arriver à l'arrêt.  Il regarde vers l'avant en souriant.  Juste avant de sortir, il se tourne vers moi et murmure un de ses très suaves et sensuels «bye...», auquel j'essaie de répondre, mais seule une ondulation très peu harmonieuse naît sur mes lèvres... décidément...

 

 

Moi qui suis toujours au-devant, même si je ne suis vraiment pas une séductrice incarnée, je n'ai pas l'habitude de m'en faire avec ces considérations.  Si un gars m'intéresse, eh bien, j'agis,  mais là, je ne veux pas incarner cette «amazone», cette «fille-super-sympathique-forte-qui-fonce-à-qui-on-peut-se-confier-pis-qu'y-est-une-maudite-bonne-chum-avec-autant-de-sex-appeal-qu'un-céleri-rave»

 

Le lendemain matin, jeudi, moment charnière.  Le jeune homme se place à côté de moi et comme je viens pour dire « Salut!  Alors, tu travailles dans l'coin?»... je vous le donne en mille....eh oui... Il me pose cette même question, à laquelle je réponds un «oui» incrédule (ça y est, je parle français!).  On discute de choses et d'autres tout le long du trajet, petits sourires gênés, malaises mignons tout plein.  Avant qu'il quitte, je lui lance: « En passant, moi c'est Lyne!», avec un grand sourire.  Il me tend la main, me sourit et me dévoile son prénom à son tour, puis il quitte et laisse échapper dans un murmure: « À demain». 

 

À demain, à demain... c'est vendredi ça demain!  Bon, là c'que je voudrais, c'est l'inviter à sortir, qu'on se voit hors de ce contexte, qu'il incarne autre chose que «le gars d'la 28»  maudine!... Vendredi soir... c'est festif ça!  C'est bon ça festif... c'est ben bon même...  Ouin... parti comme c'est là, pas besoin de l'inviter, il va sûrement le faire en premier!  Mouahahahahaha, ben oui, ben oui... me semble tsé... pousse pas ta luck fille...

 

Vendredi matin. Il fait beau, il fait soleil.  Chaud vendredi d'octobre.  Je me lève aux aurores, essaie tous les vêtements de ma garde-robe et me pomponne, avant de trépigner jusqu'à l'arrêt. Il grimpe quelques instants plus tard,  on se salue et je m'informe à savoir si le vendredi est également le début de la fin de semaine pour lui, il acquiesce illico et me demande quels sont mes projets pour ledit week-end... Vous êtes surpris n'est-ce pas?!!  Mon beau brumel ne fait ni une ni deux et m'invite à sortir, avant de sonner pour son arrêt.  L'heure et l'endroit de la rencontre fixés, mon charmant interlocuteur me souhaite une bonne journée et dit « À tantôt», avant de disparaître de mon champ de vision et de me permettre par la même occasion de donner un répit aux guenilles qui me servent de genoux et de m'effondrer, en espérant qu'un banc sera en dessous pour me rattraper. 

 

Oh my.... oh my....!!! Oh boy... Ouuuf... Ça s'peut pas, ça s'peut juste pas!  Ahhhhh, c'est horrible, la journée est interminable...i-n-t-e-r-m-i-n-a-b-l-e!!  Impossible de penser à autre chose! Crime, à chaque deux secondes mes yeux partent en vrille et je me mets à rigoler comme une fillette... Je suis carrément euphorique, non... hystérique... et quand je reviens chez moi pour me préparer, alors là, là le temps devient réellement monstrueux.  Ça y est.  Le diagnostic est clair.  Assise dans mon fauteuil, enroulée dans ma doudou jusqu'au nez, c'est officiel : «Chus lette pis j'pue.  J'veux pu y aller, chus pas prête»  gnegnegne...

 

Je finis par y aller, avec l'aide inestimable d'une sacrée bonne chum qui offre de m'accompagner au petit bar de quartier où doit se faire la rencontre et d'arriver un peu plus tôt, histoire de me détendre un peu.  Elle me parle et tente de me changer les idées, tout en sachant que mon état de fébrilité me fait rater un mot sur deux, mais elle ne s'en formalise aucunement et semble simplement contente d'être là pour moi.  Quelle chance incroyable j'ai. 

Tandis qu'on (qu'elle) discute, son expression change: «J'pense qu'y a quelqu'un pour toi qui arrive...».  Je me retourne aussi sec et le vois, beau comme un coeur, ses longs cheveux courant sur ses épaules, ses yeux aussi profonds qu'au petit matin, sa bouche aussi belle et souriante que le petit «Allo!» qui en sort... Il s'approche avec délicatesse, ma chum (une vraie de vraie), se présente puis s'éclipse tout doucement... Il prend place...

 

Un matin glacial. Une vision. Une révélation. Un rendez-vous, une invitation à prendre un verre, puis deux, à prendre une chance, à prendre son pied et son temps, à prendre la parole, à prendre plaisir à voir déferler sur nous une vague de chaleur et de lumière intense, jusqu'à la naissance du jour, puis des jours...

 

La découverte d'un être exceptionnel, l'apprivoisement même de la beauté, la confrontation avec soi-même vis-à-vis d'un autre qui nous renvoie une image si positive...

 

Cette soirée fut le point d'encrage d'une belle et grande aventure...

 

Si la vie n'est qu'une suite de hasards, mon plus beau s'appelle Richard.  Je t'aime.