Trois lignes simples, un cercle. Qui aurait cru, il y a 50 ans, que le symbole de la paix deviendrait l'un des plus exploités de l'histoire contemporaine? Sûrement pas son créateur, Gerard Holtom, qui l'avait conçu pour une manif antinucléaire à Londres.

Holtom, était beaucoup plus qu'un designer graphique. C'était un objecteur de conscience doté d'une vision, en pleine période de guerre froide. Il était convaincu que le message des militants passerait mieux à l'aide d'un symbole. C'est ainsi que son logo apparut - pour la première fois - le 4 avril 1958, lors d'une marche de protestation organisée conjointement par le Comité britannique contre la guerre nucléaire (DAC) et la Campagne pour le désarmement nucléaire (CND).

Selon ce qu'on sait, l'artiste avait d'abord songé à dessiner une croix chrétienne. Se ravisant, il utilisa plutôt les codes de communication de l'alphabet sémaphore pour inscrire les lettres D et N (Désarmement nucléaire), la ligne droite symbolisant le D et le «V» à l'envers traduisant le N.

Quelques années plus tard, Holtom a donné une autre version des faits au magazine Peace News. Le design traduisait en réalité son propre pessimisme. «J'étais en profond désespoir. Je me suis dessiné. C'est la représentation d'un individu désespéré, les mains tendues vers le bas, comme le paysan de Goya devant le peloton d'exécution. J'ai simplement schématisé le dessin avec un trait et je l'ai entouré d'un cercle.»

Quoi qu'il en soit, le signe n'allait pas tarder à prouver son efficacité. En moins de temps qu'il n'en faut pour chanter «All you Need is Love», le logo d'Holtom a quitté l'Angleterre pour les États-Unis, où il est bientôt devenu l'icône absolue de la génération hippie.

De campus en campus

Récupéré en Amérique par la Student Peace Union (SPU), le logo de Holtom s'est vite répandu grâce au marchandisage. Pendant la première moitié des années 60, la SPU distribue des milliers de macarons avec ce pictogramme sur les campus universitaires.

Adopté par les baby-boomers politisés, l'emblème antinucléaire britannique est devenu bientôt celui de tous les combats sociaux, et plus spécifiquement celui contre la guerre du Vietnam. Par extension, il s'est imposé finalement comme le nouveau symbole de la paix dans le monde. Et est devenu un signe distinctif pour plusieurs mouvements de pression populaire.

«Le signe Peace n'a vraiment fonctionné aux États-Unis que lorsqu'on l'a associé aux manifs contre le Vietnam», a expliqué récemment Ken Kolsbun, auteur du livre In Peace: The Biography of a Symbol, sur le site web de la BBC «Plus les combats augmentaient, plus les protestations augmentaient. Et plus le symbole était visible.»

Associé au mouvement hippie - qui l'a utilié comme porte-étendard - le signe de la paix est devenue victime de son succès. Ses détracteurs l'ont accusé de donner dans la propagande communiste. Certains l'ont décrit comme un symbole satanique ou nazi. D'autres, plus imaginatifs, l'ont dénigré en le comparant à l'empreinte d'un pied de poule. Le gouvernement sud-africain a même tenté de l'interdire dans des manifestations antiapartheid au milieu des années 70.

Mais il en a fallu plus pour réduire son impact. Durant toutes les années 70, le «peace logo» a continué d'incarner la contre-culture et l'espoir d'un changement. Et si sa force a semblé s'estomper au cours des deux décennies suivantes, il s'est maintenu grâce à divers groupes antinucléraires et une exploitation commerciale à large échelle.

Photo Rémi Lemée, La Presse

Moule à gâteau «Peace of cake» en silicone, vendu à la boutique Motivo, rue Saint-Zotique à Montréal, à l'occasion du cinquantenaire du logo de la paix.

Un signe efficace

Cinquante ans après sa naissance, le symbole de la paix a certes un peu pâli. D'autres symboles lui font désormais concurrence (le drapeau arc-en-ciel avec le mot PACE, notamment). Les nouvelles générations le brandissent avec moins de ferveur. Plusieurs le portent sans intention politique, au même titre que le fameux «smiley». Comme le visage de Che Guevera, aujourd'hui surexploité, l'icône s'est en partie vidée de son sens.

Malgré tout, le symbole de Holtom est encore là. On a même vu certains soldats américains le porter sur leurs casques, pendant la guerre en Irak. Pour plusieurs, il demeure l'ultime icône de la paix dans le monde.

«On n'a rien trouvé de mieux, lance l'avocat William Sloan, membre du collectif québécois Échec à la guerre - qui s'est d'ailleurs approprié le fameux signe. Encore aujourd'hui, les gens le reconnaissent tout de suite. C'est devenu un symbole universel, au même titre que la croix chrétienne. Quand tu dis: le logo de Mercedez Benz avec la petite ligne supplémentaire, c'est la paix. Pas de doute.»

Comment expliquer sa longévité? Son efficacité, répond tout simplement Frederic Metz, professeur de design à l'UQAM. «Visuellement, c'est un très beau signe, qui a fait sa marque très fortement.»

Contrairement à d'autres symboles de la paix, comme la colombe ou le fusil brisé, celui dessiné par Holtom avait un caractère moderne, ajoute Frédéric Metz. Ce qui lui a probablement permis de transcender les modes. «Il a été créé à une époque où les sigles abstraits avaient plus de force. On était plus avant-gardiste en 1960. On se projetait dans le futur.»

Figure géométrique, simplissime et facile à reproduire, le symbole Peace est devenu un classique de la pop culture occidentale. A-t-il pour autant changé le monde? Ça, c'est une autre histoire. En 2008, le nombre de conflits dans le monde n'a pas diminué, tant s'en faut.

Et le signe de la paix, quoi que l'on en dise, est aussi devenu un symbole d'impuissance.