Le pari était fou. Et si on demandait au chef d'un grand resto de nous concocter un repas en ne faisant ses courses qu'au Dollarama? Martin Juneau, copropriétaire de la Montée de lait et du Bouchonné, a accepté. Résultat?

Allo, Martin Juneau? Vous ne me connaissez pas, mais j'aurais une proposition amusante à vous faire... Il aurait pu nous rembarrer. Après tout, Martin Juneau a d'autres chats plus sérieux à fouetter. Deux «grands» restos, c'est du boulot. Mais non, le jeune chef a tout de suite embarqué. «C'est très drôle, très stimulant», a-t-il répondu au bout du fil. Quelques jours plus tard, nous nous sommes rencontrés, pour la première fois, au Dollarama.

C'était au début de l'été. Par hasard, nous venions de tomber sur un article du New York Times, où un journaliste, médusé de payer plus de 2$ un bouillon de poulet («2,19$ pour payer quelqu'un à faire bouillir des os de poulet? Je veux son job!») a tenté une expérience similaire. Pendant une semaine entière, le journaliste a invité des convives à déguster ses plats conçus à base d'ingrédients choisis dans des boutiques à tout pour un dollar. Et il les a conquis. Le journal a également invité un grand chef (Éric Ripert, du Bernardin à New York) à faire de même.

À Montréal, le défi était plus audacieux encore. Car contrairement à nos voisins du Sud, nos Dollarama ne sont pas très bien pourvus. Pas de brocoli congelé, encore moins de vinaigre balsamique ici.

«Je suis un peu nerveux, qu'est-ce qu'on va trouver ici?» a d'ailleurs avoué notre chef à notre première rencontre. Il faut dire que comme nous, il ne vient pas souvent ici faire son épicerie. Jamais, en fait. Les rares fois où il met les pieds dans cette chaîne bon marché, c'est pendant les Fêtes, pour acheter du papier d'emballage et des décorations.

Parti s d'abord en repérage, qu'avons-nous trouvé? Bien des surprises: des escargots, des olives, des sardines, même des retailles d'hosties. Et beaucoup, beaucoup de sucreries.

«Oui, il y a quelque chose à faire, réfléchit-il. Il y a plus de choses que je pensais. Cela va dans toutes les directions. Il y a plus de salé que je ne l'imaginais, j'avais le préjugé qu'il y aurait surtout du sucré et des friandises.»

Une semaine de réflexion plus tard, nous nous retrouvons à nouveau, toujours au Dollarama. Cette fois avec une liste d'épicerie. Notre chef est fin prêt. «Ça va être dur de rendre ça fin. En fait, ça va être impossible. Alors je vais garder le côté trash», nous prévient l'artiste.

Il prend un chariot, et y dépose sans hésiter une foule de produits variés: nouilles, purée de pommes de terre en poudre, thon, maïs en grains, pain de mie, mais aussi des Smarties, des mandarines en conserve et un gros sac de bonbons Werther's Original, entre autres.

Plus pauvres de 17,49$ («et on s'est gâtés! Ça a coûté moins cher que je pensais»), nous sortons avec nos commissions, qui suffiront, nous garantit-il, à nourrir quatre ou cinq personnes.

C'est dans la minuscule cuisine de la Montée de lait qu'il réalise son tour de magie: toutes ses «matières premières», il va les métamorphoser. Le maïs sera réduit en purée, le pain va servir à paner, les olives seront hachées et grillées; même le caramel sera fondu puis ressaisi au bain-marie.

Résultat: une entrée de lait de maïs, un «twist sur une niçoise» concept, et quatre desserts complètement trash. Cela a tout l'air d'un repas gastronomique.

Verdict? «Je pense que oui, je pourrais tromper des gens», croit-il. La soupe, d'abord, «surprenante, elle va chercher un beau crémeux», qui ressemble le mieux à ce qu'il voulait faire. Les croquettes de thon ensuite, «pas si pires!» (jure-t-il en se léchant les babines!), puis les desserts. «C'est rigolo, mais trop sucré.»

Une grosse déception: les haricots en conserve. «Ils sont d'une tristesse...»

«Tout est très, très mangeable, conclut-il finalement. La salade niçoise est visuellement intéressante. J'aurais très bien pu inventer un plat comme ça ici. Si j'aurais pû tromper quelqu'un? Oui, c'est sûr. Mais j'ai travaillé mes ingrédients, quand même...»