Pourquoi, dites-moi, devrais-je manger du boeuf en conserve importé de Nouvelle-Zélande, des pretzels turcs sans date d'expiration ou de la vinaigrette toute préparée d'une marque connue, soudainement en liquidation?

Bravo au chef à 99 cents pour la créativité et le courage déluré. Il faut dire qu'à Los Angeles, ils ont l'air de vendre au moins quelques produits frais dans leurs magasins à 1$. Mais ici, désolée, je n'embarque pas.

De la conserve au rabais de qualité médiocre et des boissons déshydratées couleur Prestone? Non merci.

Si ça vous tente d'aller faire votre épicerie au Dollarama, grand bien vous fasse. Moi, je serai chez mon fruitier en train de fouiller dans l'étagère de liquidation entre les bananes pourries et les salades flétries pour trouver une aubaine sur les raisins ou les ananas. Je serai au marché Jean-Talon vers 18h, dimanche soir, quand les marchands commencent à brader leurs tomates et leurs melons, pour ramasser les derniers poires presque trop mûres dont je ferai de la compote vanillée. Je serai peut-être même au marché Atwater en train de négocier le prix de poivrons imparfaits et maganés qui s'en iront illico dans la soupe pour la moitié du prix des beaux et des tout rouges impeccables.

Mais au magasin à 1$?

Pourquoi?

Je pourrais dire que je refuse d'y aller par peur des rappels. Parce que j'aurais toujours la crainte qu'après avoir mangé une casserole au thon ou des biscuits bleus ciel venus d'Ouzbékistan ou un truc semblable, je lise dans le journal que tel lot importé de Chine par le même gars que les poupées peintes au plomb était en fait impropre à la consommation. Et toutes ces histoires de listériose et de salmonellose ne m'ont pas exactement rendue plus hardie.

Je pourrais aussi dire que je refuse d'acheter dans les boutiques à 1$ parce qu'elles vendent des objets faits dans des usines au loin par des gens souvent payés des salaires de misère et que je suis contre ça, mais pour l'achat local.

Je pourrais dire que je n'y trouve rien qui m'intéresse.

Mais la vraie raison pour laquelle je n'irai jamais y faire mes courses, c'est parce que 1$, c'est trop cher pour ce qu'on y vend.

Pourquoi y achèterais-je des légumes en conserve importés du bout du monde si je peux congeler des tomates dénichées au marché, à l'automne, en grosses quantités pour un prix négocié équivalent? Pourquoi achèterais-je des légumineuses autrement que sèches, à la poche et super abordables, ailleurs que dans des épiceries ethniques autrement plus gastronomiquement inspirées?

Cuisiner pour vraiment pas cher est loin d'être un nouveau concept. Parlez-en aux mamans italiennes, un pays où la culture gastronomique est remplie de succulents «plats du pauvre».

Un bouillon et un oeuf et un trognon de parmesan: on a une stracciatelle!

Et ça coûte encore moins que 1$, surtout si on fait le bouillon avec une carcasse de poulet sinon destinée à la poubelle et quelques légumes trouvés dans le fond du frigo.

Si vous voulez savoir comment économiser, appelez une grand-maman portugaise ou une jeune Antillaise qui envoie une grosse partie de son maigre salaire de gardienne dans son village natal. Elles, elles savent où trouver la tête de saumon pour se faire une soupe à 25 cents la portion et comment ne pas se faire rouler sur le prix de l'huile d'olive. Elles, elles vous diront quand aller chez Metro ou Provigo chercher tel ou tel produit, car elles lisent les circulaires de fond en comble comme d'autres les cours de la Bourse, et savent précisément quand les mangues ou le rôti de porc sont rendus vraiment des aubaines.

«Acheter de la nourriture au magasin à 1$? Ouais, parfois", me disait récemment une dame des Philippines qui aurait dû devenir courtière en valeurs mobilières avec son talent pour suivre la fluctuation des prix. "Mais il faut être prudent. La plupart du temps, c'est bien trop cheap!»