Les décrocheurs du comté texan de Bexar n'ont qu'à bien se tenir. Dans les écoles de ce quartier populeux de San Antonio, les élèves qui manquent l'école pendant plus d'un mois et demi seront surveillés nuit et jour au moyen de bracelets GPS qu'ils porteront à leur cheville.

Les adolescents qui «participeront» au projet pilote de six mois auront de 15 à 17 ans. S'ils dépassent les limites de l'école pendant la journée, ou un périmètre convenu autour de leur résidence le soir et la nuit, une alarme avertira un surveillant au bureau du procureur.

«Un autre comté de l'État fait cela depuis quatre ou cinq ans, et ça a réduit de 95% le décrochage chez la clientèle visée, dit la juge Linda Penn, qui a mis sur pied le projet du comté de Bexar. Je pense que la simple peur du bracelet GPS fera le travail.»

Le problème du décrochage, selon la juge Penn, est qu'il facilite l'entrée des jeunes dans les gangs de rue. «Sans décrochage, vous avez beaucoup moins de nouveaux jeunes criminels, assure-t-elle au cours d'un entretien téléphonique. C'est un problème important dans notre comté, qui compte 1,2 million d'habitants.» Elle pense que la mesure ne fera pas l'objet de contestation judiciaire. L'ACLU, une ONG militant pour les droits civiques, a indiqué à l'Associated Press son inquiétude devant le programme, mais n'a pas annoncé de poursuite.

Le coût du projet pilote, 100 000$US, devrait être assumé par les écoles du comté, espère la juge Penn. Entre 50 et 75 élèves devraient y être conscrits, mais la juge Penn assure que le surveillant pourra se charger d'une centaine d'élèves si besoin est.

Une approche impensable au Québec

À l'Université de Montréal, la professeure de droit Violaine Lemay, spécialiste du droit de la jeunesse, estime que cette approche serait impensable au Québec, tant au niveau de la philosophie de la Direction de la protection de la jeunesse, que de la loi proprement dite. «Plus on renforce le caractère carcéral de l'école, plus on renforce la volonté de s'en évader, dit Me Lemay. Au Québec, un directeur d'école qui constate des absences répétées doit tout d'abord contacter les parents, puis ensuite seulement la DPJ, qui doit prouver que l'absence de fréquentation scolaire compromet la sécurité de l'enfant. La liberté des personnes est très protégée au Canada. Les jeunes ont aussi droit à l'égalité. Si l'employeur d'un adulte le soupçonne de ne pas travailler assez, il n'a pas le droit de le surveiller avec un bracelet GPS. C'est la même chose pour les jeunes et l'école.»

Vision marquée par l'ignorance

Au-delà des considérations juridiques, Me Lemay est «triste» de voir cette histoire. «C'est une vision naïve du monde, profondément marquée par l'ignorance. On se dit que s'il y a moins de liberté, les jeunes vont avoir moins le goût de la liberté et plus le goût de l'école. Au contraire. Il y a une grande méconnaissance des travaux scientifiques sur le problème du décrochage scolaire. Ce qu'il faut, c'est intervenir durant l'enfance, intervenir auprès des mères de familles monoparentales: au lieu d'un bébé secoué, d'un enfant qui apprend la violence, la mère peut lâcher son stress.»

Mais s'il n'y a pas eu d'intervention durant l'enfance, que faire avec un adolescent décrocheur? «L'école n'est pas nécessairement faite pour tout le monde, dit Me Lemay. Avant, seulement les élites y avaient accès, maintenant tout le monde doit y aller. Les jeunes hyperactifs qui auparavant excellaient dans les champs se retrouvent enfermés dans une classe. Ça me fait penser à La fortune de Gaspard, de la comtesse de Ségur: un paysan décidait que ses deux fils le deviendraient aussi, ce qui rend très malheureux le fils qui aimait l'école; puis il se revire de bord, et décide qu'ils iront tous deux à l'école, ce qui rend malheureux le fils qui aimait les champs.»

Des enseignants armésUne autre école texane, à Harrold dans le nord rural de l'État, a flirté cet été avec la controverse. La commission scolaire a décidé d'autoriser les enseignants à porter des armes cachées sur eux durant les cours, dans le but d'éviter des tragédies comme la fusillade de Columbine au Colorado en 1999. «Nos parents ne veulent pas que leurs enfants soient des poissons dans un bocal», a expliqué le directeur de la commission scolaire, David Thweatt, au New York Times. «Ils ne se font pas d'illusion: la police ne pourrait pas intervenir assez rapidement en cas de fusillade.» M. Thweatt a ajouté qu'interdire les armes à feu dans les écoles les rend plus invitantes pour les mécréants.