L'Espagne viticole, qui est en pleine mutation depuis la fin des années 80, a vu renaître certaines appellations qui, pour des raisons économiques, ainsi que pour la dureté du travail requis - certaines étant situées sur des coteaux escarpés au possible - , avaient été laissées à l'abandon.

Ce sont des zones comme celles de Toro, de Priorat, de Montsant et de Bierzo (www.crdobierzo.es). Cette dernière, autrefois l'ultime halte pour les pèlerins qui cheminaient vers Compostelle en quête du Saint Graal, est en voie de connaître une renaissance aussi spectaculaire que celle que l'appellation Priorat a connue. De grands accords monastiques en perspective !

Après avoir fait littéralement renaître de ses cendres l'appellation Priorat, la positionnant ainsi au sommet de la hiérarchie des grands vins espagnols en seulement une décennie, à force de travail et d'acharnement, ainsi que de talent et d'intuition, Álvaro Palacios, appuyé de son neveu, Ricardo Perez-Palacios, est sur le point de gagner son deuxième pari. Cette fois-ci avec l'appellation Bierzo, située en Galicie, au nord-ouest de l'Espagne, où le climat continental, aux fraîches influences maritimes, résulte en des vins d'un grand raffinement aromatique.

Les grands vins de ce domaine, fondé en 1998 sous le nom de Descendientes de J. Palacios, sont actuellement reconnus par les critiques du monde entier et ont créé un impact majeur dans l'inconscient des autres vignerons qui ont, depuis, retrouvé foi en ces anciens coteaux pentus, aux sols d'ardoises noires et argentées superposées en strates horizontales, et parfois verticales.

Le plus beau dans cette histoire, c'est que, par la régénération de ses grands terroirs à vin, le Bierzo participe, à sa façon, à la biodiversité viticole en permettant au cépage singulier, le mencia, de magnifier ces sols en des vins qui complexifient le paysage vinicole par leur forte identité. Comme si ce n'était pas assez, les très vieilles vignes de 50 à 100 ans d'âge sont légion dans le Bierzo.

Il faut savoir que le mencia, qui porte le nom de jaen dans la région de Dão, au Portugal - mais qui est une mutation légèrement différente du mencia galicien -, aurait, selon les ampélographes, une filiation avec le cabernet franc. Je ne serais pas surpris d'apprendre, une fois les recherches sur son ADN terminées, qu'il se découvre une origine du côté du pinot noir, tant certains crus ont un profil bourguignon.

Quoi qu'il en soit, les vins rouges de ce noble cépage autochtone sont d'une race évidente, aux tannins très fins et à la texture raffinée, sachant exprimer la minéralité des sols, ainsi que des notes aromatiques jouant dans la sphère des fleurs et des épices douces. Ils rappellent quelquefois certains crus de Chambole-Musigny, comme ceux que signe Christophe Roumier, tantôt le profil d'un grand saumur-champigny des frères Foucault, puis, à d'autres occasions, les plus belles syrahs du Rhône, spécialement de la famille Chave.

Actuellement, à la SAQ, les vins du Bierzo ne sont pas nombreux, mais de récents arrivages viennent complexifier l'offre, et le prochain numéro du magazine SAQ Cellier, en juin, où l'Espagne sera en vedette, devrait, souhaitons-le, compter des vins de cette appellation. Tout en espérant que les remarquables grandes cuvées d'Álvaro Palacios, La Faraona, Las Lamas et San Martin, produites entre 500 et 2000 bouteilles seulement, dont j'ai dégusté les millésimes 2001, 2003 et 2005 dernièrement, fassent leur apparition aux deux SAQ Signature d'ici la fin de l'année.

En attendant, il faut vous faire plaisir à table en effectuant vos gammes avec les vins de Bierzo, en servant, après un passage en carafe, le désormais réputé Pétalos 2006 Bierzo, Descendientes de J. Palacios, Espagne (24,05 $; 10551471). Vous y dénicherez un 2006 tout en chair, en rondeur et en tendreté, contrairement au 2005 qui était plus carré et plus dense. Le nez est enchanteur à souhait, d'une belle intensité mais avec élégance. La bouche suit avec des courbes sensuelles, des tanins enrobés, qui ont malgré tout un très beau grain, une acidité fraîche, mais discrète, ainsi que des saveurs pulpeuses de bleuet, de framboise, de violette et de café.

La texture détendue sur mesure pour s'unir au hachis parmentier de canard ou au steak de saumon grillé au pimentón et escorté de tomates séchées à l'huile d'olive. Mêmes harmonies pour la nouveauté de l'heure, le Tilenus «Crianza» 2003 Bierzo, Bodegas Estefanía, Espagne (28,10 $; 10856152), à base de très vieilles vignes de 60 à 80 ans, d'un charme aromatique fou, exhalant des notes de cerise noire et de fleurs, sans boisé apparent. La bouche suit avec fraîcheur, élan, raffinement des tannins et persistance des saveurs.

Par contre, pour soutenir un pénétrant plat de viande rouge braisée et épicée, comme un ragoût d'agneau aux quatre-épices (poivre, muscade, gingembre en poudre et clou de girofle) - rappelez-vous, les épices douces sont dans la ligne de mire des principes actifs du mencia -, optez plutôt pour le Tilenus «Pagos de Posada» Reserva 2001 Bierzo, Bodegas Estefanía, Espagne (46,25 $; 10855889), composé de mencia de 80 à 100 ans. Certes, actuellement sur une retenue juvénile, ce nouveau cru du Bierzo possède une bonne profondeur et une intensité minérale bien définie.

Après un gros coup de carafe d'une heure, le nez se montre plus bavard, laissant deviner des effluves de réglisse, de girofle et de fleurs, d'un raffinement étonnant et d'une réserve bien européenne. La bouche suit avec race, grain, droiture, élan, fermeté et esprit, égrainant de longues saveurs d'anis étoilé et de fruits noirs, ainsi qu'une touche minéralisante. Le boisé est admirablement intégré au coeur de la matière. Du beau travail d'orfèvre.

Enfin, pour vous rapprocher encore plus du Saint Graal de Bierzo, en attendant l'arrivé des grands seigneurs signés Palacios, cuisinez un carré d'agneau, façon « pot-au-feu » (de cuisson rosée), parfumé au thé et aux épices (anis étoilé, réglisse, cannelle, grains de cardamome, girofle et feuilles de thé noir). Puis, après l'avoir oxygéné en carafe pendant deux bonnes heures, servez l'excellent cru quatre étoiles, le Corullón 2004 Bierzo, Descendientes de J. Palacios, Espagne (62 $; 10823140).

Après une sélection draconienne à la vigne et à la cave, il en résulte une réussite démontrant l'immense potentiel du Bierzo et de ce domaine. Donc, un vin très coloré et violacé, au nez parfumé, très aromatique, aux tonalités de fleurs et de fruits noirs, avec un arrière-plan d'épices douces. La bouche se montre pleine et sphérique, sur le fruit, aux tannins ramassés et assez serrés, mais fins et réglissés à souhait. De l'éclat, de l'expression et de la longueur pour une grande référence. Osez lui servir aussi un tataki de thon rouge recouvert d'un concassé grossier d'un quatre-épices chinois. Après quoi vous songerez, vous aussi, à partir pour Compostelle.

François Chartier est l'auteur du nouveau guide des vins La sélection Chartier 2008, aux Éditions La Presse. On peut lui envoyer des questions par le blogue Internet www.francoischartier.typepad.com ou par la poste au 7, rue Saint- Jacques, Montréal H2Y 1K9

Bierzo en harmonieHachis Parmentier de canard ou steak de saumon grillé au pimentón et tomates séchées

Pétalos 2006 Bierzo, Descendientes de J. Palacios, Espagne (24,05$; 10551471)

OU

Tilenus "Crianza" 2003 Bierzo, Bodegas Estefanía, Espagne (28,10$; 10856152)

Ragoût d'agneau aux quatre-épices

Tilenus "Pagos de Posada" Reserva 2001 Bierzo, Bodegas Estefanía, Espagne (46,25$; 10855889)

Carré d'agneau façon "pot-au-feu" (cuisson rosée) parfumé au thé et aux épices ou tataki de thon rouge et concassé grossier d'un quatre-épices

Corullón 2004 Bierzo, Descendientes de J. Palacios, Espagne (62$; 10823140)