J'ai parfois la vague impression que mon destin est lié à celui des changements climatiques. La première fois que j'ai vraiment été interpellé par l'impact du climat sur la vigne fut lors de la terrible gelée printanière qui s'est sauvagement abattue en France sur le vignoble de Chablis, en avril 1991. Vert était le vignoble chablisien le 20 avril au coucher. Noire était la vigne au lever! Les ceps de chardonnay avaient littéralement été brûlés par la morsure du gel en ce matin noir.

Depuis, la fatalité climatique a jalonné le parcours de mes voyages. En 1992, année de la signature de la Déclaration de Rio, j'étais de passage au Brésil pour le septième concours du meilleur sommelier du monde qui se tenait justement à Rio. En 1997, j'étais invité à sillonner les grandes villes du Japon, par la société Sopexa, afin d'animer des ateliers sur les vins et les mets de France, et ce, au même moment où était ratifié à Kyoto le protocole du même nom.

Enfin, en décembre 2004, au début d'un congé sabbatique, qui devait durer trois mois, en Asie du Sud-Est (Indonésie, Thaïlande, Malaisie, Maldives), le terrifiant tsunami, dont la force a été décuplée en partie par l'intervention humaine négative sur le territoire et le climat, a complètement détruit dès les premiers jours de notre voyage tous les endroits que nous avions prévu visiter, nous obligeant à rebrousser chemin, heureusement sains et saufs. Nous ne verrons plus jamais l'Asie avec les mêmes yeux, et ce, même si Bali, où nous avions séjourné juste avant le tsunami, a été l'hôte de la conférence mondiale sur les changements climatiques, l'année dernière.

Lors de mon récent séjour en Espagne, j'avais une certaine inquiétude de ce qui allait arriver cette fois-ci! Eh bien, sachez que, mis à part un départ de Montréal chaotique, dans LA fameuse tempête du 8 mars, et l'arrivée à Paris tout aussi chaotique, due à une violente tempête de vent et de pluie causée par le déséquilibre du Gulf Stream, Barcelone a été l'hôte de la deuxième conférence mondiale Wine Global Warming, pendant laquelle Al Gore a pris la parole, par liaison satellite, lors de la clôture.

Tout cela pour vous dire que les conclusions de cette conférence confirment plus que jamais que le vignoble mondial n'échappera pas aux bouleversements climatiques. Et que la France, qui demeure LE vignoble le plus important quant à la quantité de grands vins qu'on y produit, sera aussi au coeur de ces changements affectant la culture de la vigne.

Nouvelles zones et nouvelles techniques

L'oenologue Pascal Chatonnet, que j'ai rencontré à Bordeaux récemment, et qui était l'un des principaux conférenciers à la conférence climatique de Barcelone, me disait que l'on envisage déjà d'abandonner des vignobles de régions trop chaudes, à l'image de l'Australie et de la Californie qui ont déserté certains endroits jusqu'ici cultivés pour la vigne. Même la Champagne a ajusté sa législation en début d'année afin de permettre la culture de la vigne sur de nouvelles parcelles situées en zones plus fraîches.

Selon cet éminent oenologue bordelais, aussi biologiste et propriétaire de vignes à Lalande-de-Pomerol, le défi numéro un de la France viticole est actuellement la recherche de l'abaissement du taux de sucre dans le moût (le jus de raisin), et ce, sans perdre la complexité aromatique, ni empêcher la maturité phénolique de la baie (la maturité phénolique concerne les tannins du raisin, contrairement à la maturité alcoolique qui ne concerne que le taux de sucre dans ce dernier).

Pour ce faire, M. Chatonnet me confiait que les laboratoires d'oenologie, comme le prestigieux laboratoire Excell qu'il dirige, sont à envisager la transformation de l'utilisation du procédé d'osmose inverse, qui permettait jusqu'ici de retirer une partie de l'eau contenue dans le moût, en tentant de l'utiliser maintenant pour abaisser la quantité de sucre dans le jus de raisin. Selon lui, «les vins ont atteint des taux d'alcool alarmants, et il est impossible de récolter encore plus tôt que ce que le dérèglement climatique nous oblige, tout comme d'obliger la vigne à produire plus de raisins pour en diluer naturellement le sucre, ce qui en diluerait aussi la concentration et la complexité des vins».

Des vignobles sous l'eau

Les données concernant le réchauffement de la planète, présentées dans le premier volet de ce dossier, modifieront inévitablement les pratiques viticoles. Le vigneron de demain devra s'adapter en s'inspirant, entre autres, des pratiques déjà en vigueur dans des vignobles de conditions extrêmes, telles que l'Australie et l'Amérique du Sud.

La France sera un pays plus chaud, qui gagnera trois degrés Celsius en moyenne d'ici 2100, et même peut-être dès 2030-2050. Des étés plus chauds et secs se manifestent déjà, succédant à des hivers plus doux et humides. Le nombre de jours de gel diminue à la vitesse grand V, et les canicules deviendront plus fréquentes et plus longues. Sans oublier les sécheresses plus intenses et allongées qui en découleront. L'intensité des pluies devrait aussi s'accroître, tout comme les épisodes extrêmes (orages violents, grêle, pluies torrentielles subites, inondations, etc.).

Les modèles climatiques prévoient d'ici 2050 des chaleurs estivales plus importantes (35 degrés) sur plus des deux tiers du sud de l'Hexagone et sur son tiers septentrional. Les régions les plus touchées par cette forte hausse de chaleur sont le département des Pyrénées, donc le coeur du Sud-Ouest, ainsi que toute la façade Atlantique (Bordeaux, Cognac et la Loire occidentale), qui connaîtra un nombre de jours caniculaires supérieur à ce que subissent actuellement les parties les plus chaudes de la côte méditerranéenne!

Mais ce qui, actuellement, inquiète le plus les viticulteurs français, c'est l'augmentation du niveau des océans, qui, comme je l'écrivais en décembre 2007, pourrait causer des problèmes majeurs, entre autres, dans le Médoc, où dans sa partie nord la vigne y est cultivée seulement depuis les importants travaux de drainage effectués par les Hollandais au XVIIIe siècle.

De nouvelles données cartographiques effectuées par la NASA, en collaboration avec Météo France (voir l'illustration de la carte géographique de la hausse des océans en France), basées sur l'hypothèse d'une hausse des océans de deux mètres d'ici 2100 (modèle beaucoup plus prudent que les six mètres véhiculés par Al Gore), confirment l'inondation probable des vignobles du Médoc, dans sa partie nord surtout, mais aussi jusqu'à la ville de Bordeaux, en passant par Pauillac. Le célèbre Château Latour, de Pauillac, perdra-t-il la partie de son vignoble, donc le tiers, qui descend jusqu'à la Gironde?

Le Languedoc sera aussi durement touché par la montée des eaux, qui pourrait se rendre jusqu'aux portes d'Arles et de Montpellier, donc mouiller d'excellents terroirs à vins. Il faut savoir que la Camargue, située dans l'embouchure du delta du Rhône, se trouve pratiquement sous le niveau de la mer. Que faire alors? Devra-t-on, à l'image de Venise, construire des digues dans la Méditerranée pour protéger le Midi? Ou certains vignobles seront-ils désertés au profit de régions plus nordiques, donc à l'abri de la montée des eaux et du climat devenu trop chaud et instable au Sud? Seul l'avenir nous le dira. En attendant ces bouleversements climatiques et cette réorganisation du vignoble, les meilleurs terroirs de France nous donnent plus que jamais le meilleur de leur grande et longue histoire. À nous d'en profiter!

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