En marge du festival Montréal en lumière, pour présenter quelques-uns de ces vins à table, le Courrier vinicole a invité le chef Bill Kim, propriétaire de l'excellent restaurant Le Lan à Chicago. Les membres du Courrier vinicole ont donc eu droit, en soirée, au même exercice de style que l'on nous a présenté plus tôt, dans la journée du 22 février. Le hasard faisant bien les choses, j'étais justement de passage à Chicago récemment pour y poursuivre mes rencontres exploratoires du côté de la cuisine d'avant-garde du XXIe siècle, plus particulièrement aux restaurants Alinea et Moto. Deux des chefs de file nord-américains de cette cuisine créative.

Bill Kim, qui a acquis une très grande maîtrise en cuisine, ayant été la deuxième main du piano de Charlie Trotter's pendant plusieurs années, est maintenant chef d'orchestre chez Le Lan (lelanrestaurant.com), où il se consacre à une cuisine d'influences plus asiatiques. Dans son restaurant, où j'étais pour un lunch, il m'a littéralement séduit en rénovant des classiques de la cuisine chinoise.

Le repas présenté lors de cette dégustation du Courrier vinicole, une excellente initiative, fut donc à la hauteur de la réputation de ce chef de la Ville des vents. Malheureusement, sans être totalement décevant, le choix des vins pour réaliser l'harmonie avec le menu proposé l'était moins. Par exemple, je m'explique mal que l'on ait décidé de servir, au dessert, deux vins certes liquoreux mais dominés par leur saisissante acidité électrique, pour s'harmoniser avec deux onctueux desserts sans acidité. Les ingrédients (banane, amande, noix de coco, caramel et chocolat noir) qui composaient ce duo de desserts requièrent plutôt un vin liquoreux en mode onctuosité, doté d'une acidité discrète, laissant place à de l'ampleur et à une imposante liqueur.

Quoi qu'il en soit, les deux vins de dessert étaient tout simplement époustouflants pour eux-mêmes. Ce sont l'éclatant et incisif Riesling Icewine Stratus 2006 Niagara, Canada (39$; Courrier vinicole) - dont l'acidité résonnerait mieux avec celle tout aussi nerveuse d'un coulis de fruit de la passion baignant une pannacotta aux zestes de lime - et le vivifiant, pénétrant, zesté, exotique et intensément long Oremus 1999 Eszencia, Vega Sicilia, Hongrie (275$; Courrier vinicole) - dont l'acidité volcanique et les saveurs confites seraient beaucoup mieux servies avec un dessert composé de carottes, pommes, épices, gingembre, jus acidulé et oranges confites.

Idem pour le duo de plats de résistance, où les deux vins servis, certes très bons, spécialement l'australien, mais tantôt trop fin et marqué par les tannins frais du cabernet franc (Yakka Jack Cabernet Franc/Sangiovese 2005 The Islander Estate, Australie, 45$; Courrier vinicole), tantôt trop capiteux (Isosceles 2004 Paso Robles, Justin Vineyards, États-Unis, 59$; Courrier vinicole), n'étaient pas en mesure d'interpénétrer à leur juste valeur les deux inspirantes compositions de Bill Kim.

L'oriental pigeonneau fumé au thé (façon canard de Pékin fumé), rehaussé d'anis étoilé et accompagné d'un gourmand pouding au pain de foie gras de canard, aurait plutôt trouvé son écho dans l'excellent et tout aussi subtilement épicé et fumé Domaine de la Grange des Pères 2004 Vin de pays de l'Hérault, France (62$; Courrier vinicole). Un cru d'une belle maturité aromatique pour un 2004, à la fois prenant et détaillé, à la bouche juteuse, texturée et sensuelle, aux tannins enveloppés et aux saveurs très très longues. Un grand charmeur, aux notes d'épices orientales et de bois de santal. Un vin de restauration, déjà prêt à s'offrir et qui se complexifiera dans le temps.

Quant au métissé tronçon de cerf sauce saké-mirin, parfumé aux baies de genévrier, qui complétait le duo de résistance, c'est en présence du très réussi Clos de l'Obac 2004 Costers del Siurana, Priorat, Espagne (69$; Courrier vinicole) qu'il aurait trouvé «photo». Ce priorat passablement riche et profond, exhale justement les parfums méditerranéens de garrigue, jouant dans la sphère du genévrier et du romarin, tout en proposant une bouche à la fois dense, ramassée et généreuse, épousant ainsi la tout aussi généreuse sauce mirin-saké et le goût devenu terpénique du gibier.

Suisse, Californie, Chili, Portugal...

Chez les autres crus de cette opération, amateurs de vins rarissimes, ne manquez pas l'étonnant blanc suisse La Trémaille 2004, Rouvinez, Valais, Suisse (25$; Courrier vinicole), à base de l'intrigant cépage petite arvine. Vous y dénicherez un vin d'une grande maturité aromatique, aux saveurs franches et expressives, avec du tonus, de la fraîcheur et de l'élan. Beau vin de table, grâce à une minéralité qui laisse la fin de bouche sapide et qui permet l'union avec les mets subtilement épicés de la cuisine du Sichuan.

Malgré sa robe évoluée, optez pour le pinot californien qu'est l'excellent Pinot Noir Edna Ranch Vineyard 2001 Edna Valley, Nichols Winery, États-Unis (39$; Courrier vinicole), au nez mûr et confit. Il se montre étonnamment juteux, ample, texturé et très long en bouche, aux tannins fondus, à l'acidité juste dosée et aux saveurs de tomate séchée, de cerise noire et de cannelle. Non sans rappeler un chambolle-musigny mature. À boire à table dès maintenant, avec des cuisses de caille poêlées aux quatre épices ou un filet de thon rouge grillé à l'huile de tomates séchées et piment d'Espelette.

Puis il y a un abordable assemblage des cinq cépages bordelais, complété par la syrah, le Chocalán Gran Reserva Blend 2004 Maipo, Vina Chocalán, Chili (22$; Courrier vinicole), au nez certes classique, jouant dans la sphère du cassis et de la menthe chocolatée, mais à la bouche généreuse et fraîche, pleine et enveloppante, aux saveurs de fruits noirs et de cacao d'une belle intensité et d'une fraîcheur rarissime chez ce type de cuvée. Une aubaine à servir avec un gigot d'agneau parfumé de romarin ou de poivre Sichuan.

Pour les nouveaux aficionados de vins portugais, découvrez le Dona Maria 2004 Alentejano, Julio Tassara, Portugal (39$; Courrier vinicole), composé à 50% d'aragonès. Il en résulte un rouge au nez de menthol et de romarin, passablement concentré, à la bouche pleine, texturée et dense, avec un certain moelleux charmeur. Une longue finale aux notes boisées, sans excès, jouant dans l'univers des fruits noirs, de la vanille et, de façon subtile, de la noix de coco, fait de lui un choix éclairé pour la table, spécialement avec les plats où s'exprime le clou de girofle, comme les viandes baignées d'une sauce aux cinq épices.