L'expérimentation ouvre la voie à ceux qui osent s'aventurer sur les chemins, qui conduisent tout droit à la créativité, donc aux plaisirs pluriels. Cette semaine, comme je l'ai fait à l'automne en vous conduisant sur la piste aromatique du romarin, je vous entraîne sur la piste des chauds et sensuels parfums de la cannelle et des vins qui devraient maintenant plus que jamais être en liaison parfaite avec les mets dominés par cette épice si prisée.

On pense à tort que le parfum d'une épice ou d'une herbe est singulier, c'est-à-dire composé d'une seule molécule aromatique qui lui donnerait son caractère spécifique. Bien au contraire, l'arôme de chaque herbe et épice est composé d'un cocktail de principes actifs qui, par leur mélange, procurent la signature aromatique finale. Quelquefois, certains composés aromatiques dominent les autres, tant en quantité qu'en puissance, et donnent ainsi la note principale, comme dans le cas de l'aldéhyde cinnamique pour la cannelle.

Mais elle contient aussi d'autres principes aromatiques, comme l'alcool cinnamique (rappelant l'amande amère), qui est beaucoup plus subtil que l'aldéhyde cinnamique, ainsi que l'eugénol (principale molécule active du clou de girofle), le camphre, le pinène (odeur d'aiguilles de pin), le cinéol (odeur d'eucalyptus). On y trouve aussi, en quantité infime, la coumarine (arôme de vanilline), le caryophyllène (arôme boisé), l'acétate d'eugényle (arôme anisé), le linalol (arôme floral, aussi présent dans la lavande, le muguet et la menthe) et la dihydrocapsaïcine (la molécule brûlante des piments forts).

Ces différents principes actifs, ou traits de caractère, participent aussi à sa signature aromatique et, une fois déchiffrée, permettent de concevoir de nouvelles pistes harmoniques à table, tout comme de nouvelles créations de recettes. En général, sa saveur, l'une des préférées des Nord-Américains, est douce, devenant presque chaude, parfois même presque brûlante, rappelant vaguement le clou de girofle et le poivre. Mais il existe plusieurs espèces de cannelles, de la plus grossière à la plus subtile et complexe.

En cuisine et dans les vins

La cannelle est l'une des épices préférées en Amérique du Nord, spécialement pour les desserts, le chocolat et les cafés aromatisés. En Europe, on la trouve surtout dans les compotes et les confitures. Au Moyen-Orient, elle parfume les plats de viande, comme le tajine. En Asie du Sud-Est, elle entre dans la composition des mélanges d'épices, comme les cinq épices chinoises, où elle rehausse autant les viandes que les poissons et les bouillons, sans oublier les thés.

Dans les vins, l'arôme de cannelle provient soit du chêne des barriques, pour les vins ayant séjourné en fûts, soit de la lignine des rafles (la partie en bois qui tient les raisins en grappe) des cépages, pour les vins provenant de vendanges n'ayant pas été ou peu éraflés avant la fermentation. La lignine de la rafle du cépage grenache, spécialement celui du Rhône et du Languedoc-Roussillon, est richement pourvue en principes actifs pouvant engendrer l'alcool et l'aldéhyde cinnamique, donc l'arôme de cannelle.

Mais les vins élevés en barriques neuves, blancs comme rouges, sont tous susceptibles de contenir ces molécules à la base de l'arôme de cannelle, mais plus spécialement les pinots noirs australs et californiens, tout comme les rouges espagnols de la Ribera del Duero et du Rioja. On retrouve ces précieuses molécules aromatiques aussi dans les vins blancs alsaciens, plus particulièrement ceux à base de gewurztraminer, lorsqu'ils sont de vendanges tardives, mais, dans une moindre mesure, dans ceux de pinot gris et de muscat. Les vins blancs liquoreux de sémillon (sauternes) ou de chenin blanc, ayant profité de l'action de la pourriture noble (botrytis cinerea), comme le sont ceux de la Loire, spécialement les coteaux-du-layon, en regorgent, tout comme le tokaj aszú de Hongrie et le constancia d'Afrique du Sud.

Quelques pistes harmoniques

Pour magnifier les notes d'épices douces et épouser la texture soyeuse d'un très invitant pinot austral, comme le Pinot Noir Coldstream Hills 2006 Yarra Valley, Australie (30,50$; 472 613), au corps à la fois plein et vaporeux, optez pour un plat comme les filets de porc à la cannelle et aux canneberges (recette magazine Ricardo, numéro Noël 2007). Les doux parfums épicés ainsi que la saveur aigre-douce des canneberges au miel dictent sans contredit le service d'un pinot australien.

Tout en demeurant dans le royaume de charme du pinot, optez pour la nouveauté de l'heure, l'irrésistible Pinot Noir Kim Crawford 2006 Marlborough, Kim Crawford Wines, Nouvelle-Zélande (21,75$; 10 754 244), tout à fait gorgé de fruits et de saveurs, aux tannins tendres, très frais et au corps enveloppant. Juteux, éclatant et délicieux, égrainant de longues saveurs de cerise noire et d'épices douces. Fera un malheur, spécialement sur un poulet rôti au sésame et aux cinq- épices, tout comme sur un sauté de porc vietnamien aux cinq-épices.

Pour des mets plus relevés, mais toujours dominés par la cannelle, comme le tajine de ragoût d'agneau aux cinq-épices et aux oignons cipollini caramélisés ou les côtes levées à la cannelle et au curry de vin rouge (recette de l'inspirant livre Vij's Elegant & Inspired Indian Cuisine, de Vikram Vij, chef à Vancouver), sélectionnez un rouge dominé par le grenache, du Rhône ou d'Espagne, comme le Monasterio de Las Viñas Gran Reserva 2001 Cariñena, Grandes Vinos y Viñedos, Espagne (17,70$; 10 359 156), composé à 50% de garnacha, 30% de tempranillo et 20% de mazuelo. Un 2001 assez compact et ramassé, au nez discret au premier abord, et qui se montre plus complexe et détaillé après oxygénation en carafe, dévoilant des effluves de havane, de cerise noire, de cannelle et de muscade, très légèrement boisés.

Enfin, à l'heure du fromage et du dessert, optez pour un vin de type sauternes, donc marqué par la pourriture noble, qui sied parfaitement à la cannelle. Pour ce faire, sélectionnez l'exubérant, épicé, confit et onctueux Château Bel Air 2004 Sainte-Croix-du-Mont, France (28,95$; 895 391), qui fera le pont du fromage au dessert - surtout si vous servez ce vin plus frais que froid, autour de 12 °C. Commencez avec l'assiette de fromages accompagnés de figues rôties à la cannelle et au miel (farcir les figues, ouvertes en quatre par le haut, d'une pommade de beurre ramolli, de miel et de cannelle, puis cuire pendant cinq minutes dans un four préchauffé à 210 °C, en prenant soin de napper régulièrement les figues avec le beurre fondu pendant la cuisson). Puis, terminez en feu d'artifice avec un millefeuille de pain d'épices aux pommes (recette dans le livre À table avec François Chartier). Ainsi, la cannelle n'aura plus secret pour vous!