La rentrée est le prétexte à toutes les sollicitations auprès des jeunes. D'autant plus que les étudiants l'abordent au zénith de leur cycle financier: leur emploi d'été leur a permis de regarnir leurs coffres. Coffres que des entreprises de tous acabits lorgnent d'un oeil intéressé...

«Avec un téléphone comme ça, la rentrée a l'air d'une sortie.»

D'une sortie de fonds, avant tout.

Ce cellulaire à fonctions multimédias coûte 479$, ou 129,95$ à la signature d'un contrat de trois ans. Le dépliant de Bell, distribué à la mi-août, assure que «son design épuré fera grimper votre cote de popularité».

On peut déjà douter de l'efficacité de cet argument. Par contre, quelques lignes plus bas, la promesse d'une prime, constituée d'une carte de musique préchargée de 2 Go, répond à une des règles cardinales du marketing jeunesse: être généreux.

«L'attention des jeunes vaut de l'or», a fait valoir l'agence Mecano en mai, dans une série de recommandations énoncées dans le cadre d'un dossier Jeunes de la revue Infopresse. «Offrez-leur quelque chose de riche: vidéos exclusives, musique gratuite...» Le conseil vaut pour le web, mais il s'applique partout... et particulièrement en août.

«Les étudiants qui retournent au cégep ou à l'université se font bombarder d'offres marketing», observe Martine Bélanger, porte-parole de l'Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC). Comme chaque année à la même époque, prévient l'Agence, les fournisseurs de cartes de crédit, de téléphones cellulaires, de services Internet et autres «tenteront de s'approprier une part du marché étudiant».

Les jeunes de la génération Y gagnent peut-être moins que leurs aînés, mais ils ont moins d'obligations. Résultat: «Près de 63% de leurs revenus sont utilisés pour des biens de loisir, vêtements, musique...» soutient Patrice Lagarde, président de Virus Marketing, une firme qui se spécialise dans le marché jeunesse.

Il est donc tentant de s'attacher les jeunes par les liens indissolubles d'un contrat. Stéphanie Paquin, conseillère budgétaire de l'ACEF de l'Est de Montréal, en constate fréquemment les conséquences lors de consultations budgétaires avec des jeunes. «Une de leurs principales dettes est due à un contrat de cellulaire qu'ils n'ont pas pu respecter, relate-t-elle. Ils veulent toutes les options et il y a un peu de pensée magique quant à leur capacité à respecter le contrat.» D'autant plus, rappelle le porte-parole de l'Union des consommateurs, Charles Tanguay, que «souvent, ces fonctions sont en extra, et demandent des déboursés supplémentaires qui ne sont pas toujours transparents».

Les jeunes étudiants s'engagent ainsi à long terme alors qu'ils ne pourront peut-être pas occuper leur emploi durant l'année scolaire. Bref, leur contrat est nettement moins précaire que leurs revenus.

Les jeunes eux-mêmes en sont-ils préoccupés? Selon Xavier Lefebvre-Boucher, président de la Fédération étudiante collégiale du Québec, les étudiants constituent «une clientèle - les compagnies le savent - mal préparée à faire face à ce genre d'engagement». Les étudiants sont souvent mal informés à l'égard du crédit et des contrats - une lacune dans leur éducation, estime-t-il.

L'an dernier, à la demande de l'école Henri-Bourassa de la Commission scolaire de la Pointe-de-l'Île, Stéphanie Paquin a animé des ateliers sur le budget aux élèves de cinquième secondaire. «Il y a tout un travail de prévention à faire, dit-elle. Sauf qu'en secondaire 5, ils ont déjà leur cellulaire.»

Vous êtes jeunes ? Voici comment les entreprises s'y prennent pour vous convaincre

Pour susciter votre intérêt, et idéalement vous inciter à un achat, les entreprises savent qu'il y a des gaffes à éviter et des impératifs. Voici ce que conseille un spécialiste en marketing jeunesse.

(Mais bien sûr, c'est vous qui avez le dernier mot sur la question.)

- D'abord, on ne doit pas vous prendre pour des ignares ou des néophytes. «Les jeunes sont très allumés sur la technologie, très renseignés», observe Patrice Lagarde, président (et chef de la propagation, selon son expression) chez Virus Marketing, une firme spécialisée dans le marché jeunesse.

- Il faut jouer franc jeu avec vous. «On doit leur dire la vérité, et on va être respecté, que cette vérité soit positive ou négative pour l'entreprise.»

- Les entreprises vous savent sensibles à l'humour et au sarcasme, et elles veulent en jouer. Mais encore faut-il viser juste: ce qui fait rire papa vous laissera indifférent... et vice versa.

- Il faut vous surprendre. «Les jeunes veulent s'éloigner du commun, découvrir de nouveaux produits», indique M. Lagarde. Mais pas n'importe lesquels: ils doivent être taillés sur mesure pour vos besoins et vos goûts. Ce qui implique qu'on vous ait demandé votre avis à l'étape de la conception.

- Vous êtes grégaires, mais entre vous. Les entreprises qui tentent de s'immiscer dans vos groupes d'amis électroniques ou dans vos discussions numériques le font à leurs risques et périls. Mieux vaut tenter de vous intéresser à ceux qu'elles organisent elles-mêmes. Comment? Voir point suivant.

- Il faut être généreux avec vous. «Les jeunes sont plutôt réfractaires à la publicité. Mais si on leur donne une valeur ajoutée, des avantages à joindre une communauté liée à une entreprise, ils seront réceptifs.» Sur le Net, par exemple, les spécialistes suggèrent de vous offrir des widgets (note pour les parents: petites applications téléchargeables, utiles ou amusantes).

- Il est important de vous procurer des occasions de vous exprimer: vous demander des propositions de nouvelles pubs pour la marque, ou vous laisser créer votre propre version personnalisée d'un produit, par exemple.

- Pas de timidité quand on s'adresse à vous. Il faut être original dans l'approche et la présentation. «Il faut sortir des sentiers battus, avise Patrice Lagarde, occuper une position de leader au point de vue visuel.» Pas question de repiquer des pubs à succès de l'étranger: vous les avez déjà vues sur YouTube.

- À bannir: la morale et les «pitch de vente» (argumentaire). Pas d'agressivité. «On n'essaie pas de convaincre un jeune d'aimer un produit, professe Patrice Lagarde. Il faut lui montrer les bénéfices de telle façon qu'il va bien accueillir le produit.»

- «Ce n'est pas cool d'utiliser le mot cool», poursuit-il. «Trop souvent, on essaie d'utiliser leurs expressions, leur langage. On ne s'en sort jamais, car ça change du jour au lendemain. C'est un code utilisé entre eux. Ils veulent qu'on s'adresse à eux comme à des adultes.»

- Et enfin, il faut vous joindre dans les endroits que vous fréquentez. C'est d'ailleurs un des défis de ce genre d'article: vous ne vous précipitez pas sur le cahier À vos affaires du dimanche. «Mais ils vont vous lire sur Cyberpresse», nous rassure Patrice Lagarde.

Bien le bonjour à vous.

QUELQUES PRÉCAUTIONS UTILES (sait-on jamais)

Vous êtes jeune, mais pas naïf. Pour affronter un fournisseur à armes égales, mieux vaut être bien renseigné.

- Magasinez. «Ne sautez pas sur la première offre, recommande Martine Bélanger, porte-parole de l'Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC). Prenez votre temps et pensez-y avant de signer. Il y a plusieurs offres à prendre à considérations.» Comparez les prix et frais connexes, les garanties, la durée des contrats...

- Myriam Chagnon, conseillère au volet jeunesse chez Option Consommateurs, rappelle que votre situation financière peut fluctuer, surtout pendant la période de trois ans sur laquelle s'étendent certains contrats. Serez-vous en mesure d'assumer les mensualités et les frais variables pendant tout ce temps? Pour les cellulaires et même pour certaines cartes de crédit, il existe des produits prépayés, peut-être plus appropriés à votre situation.

- «Faites affaire avec une compagnie réputée», avise Martine Bélanger. Il est vrai que cette précaution ne prémunit pas contre les problèmes, mais «ils vont au moins livrer le produit», exprime-t-elle. À plus petite échelle, vos proches pourront vous suggérer un magasin de bonne réputation, et même un commis de confiance.

- N'hésitez pas à négocier. «Utilisez l'information que vous avez recueillie en magasinant afin d'obtenir le meilleur service et le meilleur prix», conseille l'ACFC.

- Le plus difficile: lisez le contrat avant de signer, même les petits caractères. «Minimalement, il faut demander quelles sont les modalités d'une annulation», insiste Myriam Chagnon. Si vous avez des doutes, consultez un proche, un parent, un ami, pour bien comprendre les implications du document.

- Toutes les promesses du vendeur doivent être inscrites au contrat. Si un des articles du contrat ne vous convient pas, vous pouvez le rayer... ou aller voir ailleurs. Cette modification doit être confirmée par vos initiales et celles du vendeur.

- Réfléchissez bien avant de vous engager, car il est plus facile de changer d'idée avant la signature qu'après. Règle générale, vous ne pouvez résilier votre contrat sans l'accord de l'autre partie à moins de pénalités, sauf dans certains cas particuliers, où un court délai vous est accordé. C'est le cas notamment pour un contrat conclu avec un commerçant itinérant, un contrat assorti d'un crédit, certains contrats de service à exécution successive (l'abonnement à un centre de conditionnement physique par exemple), un contrat de location à long terme d'un bien.

- Une fois le contrat signé, demandez une copie, que vous conserverez soigneusement dans vos dossiers.

... Et quelques suggestions aux parents

«Techniquement, un jeune de 17 ans peut signer un contrat de cellulaire», rappelle Myriam Chagnon, conseillère au volet jeunesse d'Option consommateurs. Elle suggère aux parents de discuter des coûts du cellulaire, et si nécessaire d'établir des règles strictes sur son utilisation. Strictes et précises: alors que les appels seront suivis de près, c'est peut-être du côté des dérivations vers l'Internet que viendra la surprise lors du prochain compte.

Répétons les conseils d'usage: mieux vaut acheter un cellulaire peu coûteux, et utiliser les cartes prépayées. Marie Lachance, professeur au programme des Sciences de la consommation de l'Université Laval, reconnaît que la formule peut être temporairement coûteuse, mais le jeune utilisateur acquiert ainsi de l'expérience - lire: il apprend de ses erreurs, dans la mesure où ses parents n'accourent pas à la rescousse quand sa bourse est à sec.

L'ennui, bien entendu, c'est que les téléphones les mieux dotés en fonctions rigolotes sont aussi les plus chers, d'où l'attrait des contrats à long terme. Il vaut la peine de rappeler au jeune que ce sera tout de même un appareil de 400$ qu'il se procurera, et qu'il paiera largement l'équivalent en 36 mois.

Si le contrat s'avère incontournable, il faut viser le plus court possible, recommande Marie Lachance. En durée, bien sûr, mais également en nombre de lignes. On ne se berce pas d'illusions: malgré les plus pressantes incitations, très rares sont les jeunes qui liront leur contrat de la première à la dernière ligne. «Même quand on le lit, on ne comprend pas tout», observe-t-elle. «Et quand on s'informe auprès du vendeur, il répond parfois n'importe quoi.» En somme, un soutien parental peut être utile, à tout le moins lors d'un premier achat.

Une première carte de crédit peut aussi nécessiter une discrète supervision. Paradoxalement, relève Myriam Chagnon, les jeunes sont conscients des sollicitations commerciales dont ils sont l'objet, mais «quand on va plus en profondeur, ils ne sauront pas, par exemple, quel taux d'intérêt s'applique à leur carte».

C'est ce qu'avait observé Ma-rie Lachance, dans son étude sur l'utilisation du crédit par les jeunes: «50% ne savaient pas qu'ils versaient des intérêts quand ils ne payaient que le paiement mensuel minimum», rappelle-t-elle. Si le vendeur de cartes, comme elle l'appelle à dessein, ne fournit pas clairement l'information pertinente, le parent devrait prendre le relais.

«Il ne faut pas hésiter à parler de finances avec son ado, conclut Myriam Chagnon. Ça a souvent de belles répercussions plus tard.»