On dit souvent que les bambins sont infatigables. De vrais petits athlètes en puissance. Histoire d'en avoir le coeur net, nous avons pensé à une expérience amusante (nullement scientifique, mais tout de même révélatrice) : et si on mettait un athlète à l'épreuve? Le nageur Yannick Lupien s'est généreusement prêté au jeu. Récit d'une journée «olympique» au camp de jour.

9h30. Du haut de ses deux mètres et de ses 90 kilos, Yannick Lupien fait une entrée remarquée dans le groupe des 4-5 ans, au camp de jour du centre Père-Sablon, à Montréal. Les copains, vous avez un nouvel ami pour la journée! Cer tains enfants sont là depuis 7h, à courir ou jouer au ballon dans le gymnase utilisé par le service de garde. Quand nous arrivons, ils sont sagement en rang, leur sac (avec serviette et maillot) au dos, la boîte à lunch à la main. Direction: le parc La Fontaine, pour une première activité. Yannick traînera donc lui aussi son gros sac de sport toute la journée. «Ce matin, il m'a dit qu'il avait hâte de voir, mais qu'il n'y croyait pas», nous glisse son amoureuse (et désormais notre complice) Myriam Bélanger, qui nous accompagne aussi pour la journée. Il faut dire qu'il est sûr de son coup. Après tout, il a fait les Jeux, lui. Ce n'est pas une quinzaine de gamins de 4 et 5 ans qui vont l'épuiser.

Arrivés au parc, les enfants se lancent dans une chasse aux feuilles et aux branches. Penche, relève, cours, penche, relève, cours. «C'est moi qui en ai le plus», crie Yannick. Après les feuilles, on joue à «tag chocolat», puis «tag pont». Évidemment, notre homme est la tag. Pour le plus grand bonheur des enfants (et des animatrices, qui ont peu de répit!). Ça hurle de bonheur. Des gouttes de sueur commencent à perler sur son front. Essoufflé, l'athlète? «Ben oui! Je ne suis pas réchauffé! En plus, ils ne suivent pas les règles, je les ai tous chocolatés!»

10h30 : c'est l'heure de la collation. Et d'un premier bilan. «Jusque-là, ils sont vraiment pas pire, avoue l'olympien. J'ai chaud!» Quelques minutes de répit, et les enfants sont à nouveau après lui. «Prends-moi, prends-moi !» Bon joueur, il les promène tous sur ses épaules.

Puis, c'est l'heure de retourner au centre. Il y a une alerte aux poux, et il faut vérifier la tête de chacun. On ne pourra pas dire que la journée aura manqué d'émotions... On fera même croire à Yannick qu'il a la tête pleine de lentes! Une fois tous les enfants peignés, retour vers le parc La Fontaine (toujours en traînant leurs sacs) pour le dîner. 13h30: on se dirige vers la pataugeoire. Yannick est dans son élément. Il se jette à l'eau et arrose tous les enfants qui l'approchent. C'est à se demander qui a le plus de plaisir.

Une heure plus tard, la fête est terminée. Il faut retourner au centre, pour une activité de gymnastique. Quelques étirements et les enfants commencent un parcours: de la poutre à la barre fixe, en passant par le trampoline. Et c'est parti ! Disons gentiment que la roulade arrière, ça n'est pas franchement le fort de notre nageur. Ni l'équi l ibre sur les mains (malgré de beaux efforts, qui se sont soldés par un petit garçon quasi éborgné par un coup de pied).

15h30 : la journée est officiellement terminée. On se rend au service de garde pour dessiner. «Je suis pas bon. On ne peut pas être bon dans tout!» laisse-t-il tomber. 16h30 : on se rend au gymnase pour une partie de hockey avec quelques grands enfants, histoire de finir la journée en beauté. Tiens tiens, notre athlète va sans cesse se rafraîchir à la fontaine.

«Il ne va jamais te dire qu'il est fatigué, murmure sa copine amusée. Parce qu'un athlète a toujours l'esprit de compétition. Mais il a le front plein de sueur. Je suis persuadée qu'il va faire une sieste rendu à la maison.» Yannick avouera finalement. «Bien sûr que c'est fatigant, c'est sûr !» Le plus dur ? «Ça crie tout le temps.» Et si on le mettait au défi de venir une semaine complète? «Je pense que j'aurais une grosse fatigue de mal de tête!»

Mission accomplie.

Épuisant psychologiquement

Quatre ans, c'est l'âge de la «fièvre du mouvement». De «l'exubérance motrice». Les enfants ont l'air d'avoir des «piles atomiques». Inusables. Assez pour épuiser un athlète olympique? Peutêtre pas physiquement, mais certainement psychologiquement. Leurs petites pattes ne cessent de courir, grimper, sauter. C'est parce qu'ils maîtrisent enfin leurs mouvements (sans presque plus tomber). «L'enfant a besoin d'un exutoire», explique Hélène Tardif, professeure de technique de l'éducation à l'enfance, à Québec. C'est l'âge où, si vous l'invitez à jouer dehors, il sera toujours deux mètres devant vous, à courir, à crier, sans sembler se fatiguer. «C'est ce qu'on appelle habiter l'espace.» Ils «habitent» ainsi leur espace sans règle ni logique. S'ils jouent à l'indien, ils seront tantôt l'indien, tantôt le cowboy. «Dans leur tête, ça bouge. Si vous vous mettez à les suivre, il y a des chances que vous ayez la langue à terre, poursuit-elle. Oui, ils sont assez infatigables.» Ou presque. «Ce sont de petites piles qui ont besoin de petits répits», nuance Danielle Grenier, directrice des affaires médicales à la Société canadienne de pédiatrie. Au parc, fait-elle remarquer, on peut tantôt les voir courir, tantôt s'asseoir et rêvasser. Hormis ces brefs repos, «tout le reste du temps, ça bouge».

Autant qu'un athlète? Suzanne Guay, conseillère en promotion de la santé pour Kino Québec trouve notre comparaison un brin «loufoque»: «scientifiquement, ça ne tient pas debout». Un enfant n'a pas lemême développement physiologique qu'un athlète, encore moins la même dépense énergétique globale, signale-t-elle. Vrai. N'empêche. Comment se fait-il qu'un parent, même en bonne forme physique, s'épuise à courir après son enfant au parc? Parce qu'il n'y a pas que la condition physique qui compte,mais aussi la condition «émotive», répond-elle. «Nous, on n'a pas que ça à faire, courir avec eux, il y a tellement d'autres sources de stress dans une journée!C'est ça qui nous épuise!» Et puis un adulte n'éprouve pas le même plaisir qu'un enfant à jouer. Jouer encore. Et encore. «Mon hypothèse, conclut-elle, c'est que votre athlète va trouver ça épuisant (une journée avec des enfants de 4ans): épuisant psychologiquement.»

L'athlète en chiffres

2 JO

Yannick Lupien a participé à deux Jeux olympiques consécutifs (Sydney et Athènes).

3 ans

Yannick Lupien nage depuis qu'il a 3 ans.

15 ans

Il est dans l'équipe canadienne de natation depuis qu'il a 15 ans.

50 secondes

Il a été le premier nageur canadien à nager le 100 mètres libre en moins de 50 secondes. C'était en 1999. Il avait 19 ans.

60 km

Blessé à l'épaule droite, puis à la gauche, il ne s'est pas qualifié pour Pékin. Il a aussi cessé de nager depuis trois mois. Afin de garder la forme, il s'est mis au vélo, et roule 60 km par jour pour se rendre à ses rendez-vous quotidiens de physiothérapie.

240 km

Avant de se blesser, et pour s'entraîner, il nageait 240 km par semaine.

133 000 coups de bras

En période d'entraînement toujours, il donnait en moyenne 133 000 coups de bras par mois.