Les «ales», bières brunes traditionnelles qui avaient failli disparaître, retrouvent les faveurs des Britanniques, alors que les tenanciers de pubs se désolent de voir leurs ventes baisser et atteindre cette année leur plus bas niveau depuis la Grande Dépression des années 1930.

«Les gens boivent moins de bière qu'auparavant mais ils recherchent des bières meilleures, avec plus de saveur. Ils reviennent vers la bière traditionnelle», constate David Spencer, chargé du marketing chez Fuller's, dernière brasserie familiale de Londres dont la marque phare est «London Pride».

«Au cours d'une année où le marché de la bière britannique a connu une baisse sévère, Fuller's a vu ses volumes progresser et a augmenté sa part de marché», qui se situe autour de 1%, se réjouit-il.

Les ventes totales de bière ont chuté de 4,5% au deuxième trimestre par rapport à la même période de l'an dernier dans le pays, selon les chiffres de l'Association de la bière britannique et des pubs publiés la semaine dernière.

Et la baisse est encore plus marquée dans les pubs, qui vendent quelque 14 millions de pintes par jour, soit un recul de plus de 10% sur cette même période.

Mais à la brasserie Fuller's fondée en 1845, l'heure est à l'optimisme, et les propriétaires se sentent presque à l'étroit dans les bâtiments en brique d'origine, situés entre la Tamise et une voie rapide.

La production de 1,2 million de pintes par semaine a été radicalement modernisée, avec des cuves en acier et un laboratoire qui surveille au plus près la fermentation.

Les employés ne doivent effectuer qu'un petit nombre d'opérations, comme ajouter du houblon dans les cuves où va fermenter le breuvage.

«L'utilisation particulière de la levure, et aussi la température plus fraîche de fermentation, et le malt, donnent une saveur beaucoup plus subtile» que la plupart des bières industrielles, souligne John Keeling le brasseur en chef de Fuller's.

Fuller's avait pourtant failli abandonner la bière traditionnelle dans les années 1970 pour produire la bière blonde, la «lager», qui dominait alors complètement le marché.

Alors qu'avant-guerre les Britanniques ne buvaient pratiquement que de l'ale, la bière traditionnelle locale, celle-ci a ensuite connu un déclin rapide au profit de la lager.

Considérée alors comme une bière tiède, avec peu de bulles, parfois mal conservée et tournant au vinaigre, l'ale a été délaissée par les Britanniques qui se sont tournés vers la bière blonde, à la qualité plus constante et qui bénéficiait de grandes campagnes de publicité.

«Mais à présent les ventes baissent parce que les quatre grands groupes brassicoles internationaux qui ont plus de 80% du marché ne semble produirent que des marques mondiales que l'on voit partout (...) c'est ennuyeux», souligne Ian Loe de la Campagne pour la vraie bière (Camra), une association de consommateurs qui promeut l'«ale» traditionnelle.

«Les seules brasseries qui produisent plus, qui voient leurs ventes progresser, ce sont les plus petites, 600 brasseries artisanales et 35 brasseries familiales», souligne-t-il.

Les brasseries traditionnelles ont de leur côté investi dans la qualité et profitent du retour en grâce des produits locaux auprès des consommateurs qui redécouvrent le terroir.

Mais elles ont toujours du mal à se faire une place dans les pubs pour parvenir jusqu'au consommateur.

Les grands groupes britanniques propriétaires de pubs préfèrent en effet se fournir auprès des mastodontes de la bière, comme Heineken ou Inbev, qui leur permettent de réaliser de bonnes marges, souligne Iain Loe.