Chats, chiens, lézards, insectes ou crêtes de coqs. La cuisine chinoise n'est pas seulement d'une grande finesse, elle ne s'embarrasse d'aucun tabou! À l'instar de la France en Occident, la Chine incarne le pays où la gastronomie s'est développée avec le plus de finesse, de variété et de techniques. Son rayonnement en Orient est sans pareil: toutes les cuisines nationales asiatiques ont subi son influence: la thaïlandaise, la vietnamienne, et même la japonaise et la coréenne.

La Chine n'est pas qu'un géant industriel, c'est un colosse gastronomique. En somme, les cuisines française et chinoise ont plusieurs choses en commun, entre autres la capacité de se réinventer sans arrêt et d'absorber les nouveautés venues d'ailleurs, et celle de faire de leurs chefs et artisans de véritables vedettes. En outre, ces deux grandes cuisines utilisent une palette de goût et un répertoire d'ingrédients incalculable.

Beaucoup de choses en commun donc, sauf... les ingrédients en question.

Si en France on mange des animaux de toutes sortes, de la tête à la queue - prenez le cochon ou le poulet - la diversité des choix a en fait diminué depuis 100 ans. Par exemple, où il était d'usage de manger des petits oiseaux dans certaines provinces françaises, la chasse en est maintenant interdite. Et la plupart des parties moins nobles des animaux domestiqués pour leur chair sont reléguées à une cuisine de campagne, qui devient de plus en plus folklorique. C'est le cas des andouilles (faites d'intestins), de plats comme les pieds et paquets (fait d'estomac, d'intestins, de pattes de cochon) ou de la cervelle et même de la viande de cheval.

En revanche, en Chine, les traditions culinaires n'ont fait que se multiplier, grâce au commerce intérieur notamment qui a renforcé l'intégration de traditions gastronomiques régionales. Même si elle demeure l'une des plus codifiées au monde, la cuisine chinoise profite d'une souplesse dans les méthodes de préparation et de choix d'ingrédients que n'ont pas d'équivalent.

Par exemple, quand la patate est arrivée en Chine via Manille (importée par les Espagnols dès la découverte de l'Amérique), elle a été immédiatement intégré à la cuisine locale et en peu de temps, a fait partie du régime alimentaire de tout le territoire, même de ses contrées les plus éloignées. En Europe, il a fallu attendre 200 ans avant d'adopter le tubercule.

Et enfin, il faut reconnaître l'absence presque totale de tabous en Chine, l'une des rares cultures où très peu de règles sont soumises à des principes religieux. La cuisine chinoise s'attache au mérite thérapeutique des aliments et par le fait même favorise la consommation d'insectes de toute sorte.

Mais ce qui surprend ceux qui s'intéressent réellement à la gastronomie chinoise, c'est la consommation d'animaux considérés tabous chez nous. Surtout le chat et le chien (que l'on baptise «viande parfumée» et que l'on consomme parfois avec du lait fermenté jusqu'à ce qu'il produise des bulles!), des animaux sacrés en Occident au même titre que la vache en Inde.

La liste des animaux que l'on consomme est longue, y compris les parties qui chez nous prennent le chemin des industries de transformation. C'est le cas aussi des volailles et autres oiseaux, car on consomme le poulet, l'oie et le canard aussi bien que le cygne, le cormoran, et une grande variétés de... moineaux!

Et de ces volailles, on mange la tête et la queue (on laisse tout de même les plumes pour faire des oreillers!), mais aussi le sang, la cervelle, les pattes, cartilages, ongles et tout. Il paraît que c'est excellent pour le teint! En fait, ne riez pas. Les Chinois aiment la crête du coq, de même que tous les petits appendices, (et des plus gros, ceux-là habituellement réservés aux hommes) que ce soit ceux des chauves-souris, des serpents et même des lézards, dont la variété sur le territoire chinois procure à ses habitants une source régulière de protéines animales à peu de frais. Imaginez les possibilités pour un garde-manger!

Et encore, je ne vous parle pas de l'amour inconditionnel de placenta, de doigts de pieds, de scarabées, d'éponges, de concombre de mer et d'autres bestioles que l'on associe plus généralement chez nous au rayon maquillages des pharmacies.

Et si on a encore des doutes sur l'intérêt de manger tous ces animaux, considérés comme des pestes, l'historien Calvin Schwabe, répond: «N'est-ce pas plus souhaitable de manger ces bestiaux ou d'en nourrir les animaux domestiqués que de les empoisonner et de polluer l'environnement?» Quand on pense que l'on consomme seulement une petite partie des animaux que l'on tue pour la consommation industrielle, on peut se demander si au bout du compte, les Chinois ne seraient pas en avance sur nous de ce côté-là.