Certains connaisseurs attendaient cette nouvelle depuis longtemps: les artisans du Québec viennent d'obtenir l'autorisation de vendre leurs fromages de lait cru sans obligatoirement l'affiner durant 60 jours.

«Nous sommes les premiers en Amérique du Nord à le permettre», explique Jean Dalati, spécialiste en législation au Centre québécois d'inspection des aliments et de santé animale.

«Le lait cru permet aux bactéries aromatiques de se développer alors qu'à la pasteurisation, elles sont détruites, explique le fromager Patrick Chaput. Ce sont les premières qui meurent au chauffage.» Et au goût, on ne s'y trompe pas, dit-il.

Présentement, les fromages «au lait cru» disponibles, québécois ou importés, ont été entreposés durant au moins 60 jours. Cette période d'affinage permet aux bactéries lactiques de se développer et de mener une dure bataille aux bactéries pathogènes, s'il y en a. On peut aussi faire des fromages avec du lait thermisé, un lait qui a été légèrement chauffé. L'ancien règlement permettait au fabricant de le désigner tout de même comme un fromage de lait cru. Ce qui n'est plus le cas.

Mais pour permettre aux fromagers d'éliminer la période d'entreposage, Québec impose des règles très strictes quant à la production du lait et sa transformation. «Le fromager doit personnellement connaître le producteur qui lui vend son lait», explique Jean Dalati. Pas de relation anonyme qui tient sur des contrats d'approvisionnement et dont le seul lien humain est un conducteur de camion-citerne. Le fromage au lait cru doit d'ailleurs être fait dans les 24 heures suivant la traite. Les règles d'étiquetage sont aussi modifiées. Dorénavant, la date de fabrication sera indiquée.

Quant au producteur laitier, il devra contrôler son équipement, la qualité de son eau, multiplier les visites du vétérinaire et tenir un registre de toutes ces informations techniques, explique Jean Dalati.

«C'est du lait de miracle», dit Patrick Chaput qui assure aussi que ce lait produit pour ces fromages fins atteint des sommets en termes de santé publique. Du lait comme il ne s'en fait nulle part ailleurs, dit-il, parce qu'on respecte des règles sanitaires extrêmement strictes, différentes de celles imposées aux fromagers français. «En France, ils font du fromage au lait cru pour le Français moyen, explique Patrick Chaput. Ici, on va faire du fromage au lait cru pour les personnes âgées et les femmes enceintes.»

Ce qui ne veut pas dire que les étables devront être transformées en laboratoire, poursuit ce fromager d'expérience. «Il pourra toujours y avoir une petite toile d'araignée, mais au niveau du pis de la vache, les contrôles seront très rigoureux.» Ce surplus de tâches fait aussi monter le prix de ce lait miraculeux. Les agriculteurs pourront demander une prime à la qualité aux fromagers.

Pour les consommateurs, cela ne veut pas nécessairement dire des fromages plus chers. Si on élimine la période d'affinage, on élimine aussi des coûts d'entreposage, fait valoir Patrick Chaput.

De nombreux fromagers fêtaient la bonne nouvelle hier. «Plusieurs n'y croyaient plus», explique Nancy Portelance, du regroupement de producteurs Fromages de pays. Cela étant dit, elle ne s'attend pas à ce que tous ses fromagers se lancent dans le lait cru frais. Plusieurs ont créé des fromages uniques, qui sont parfaits affinés. À l'inverse, certains fromagers ont dû laisser tomber des variétés de pâtes molles ou de croûtes fleuries précisément à cause de la période d'affinage obligatoire. «À moyen terme, on pourrait voir revenir le Jeune-Coeur à la fromagerie Pied-de-Vent des Îles-de-la-Madeleine», prévient Nancy Portelance.

À la fromagerie Au Gré des champs de Saint-Jean-sur-Richelieu, on parlait de très court terme hier. Tout est prêt pour faire un fromage frais bio avec le lait cru dès aujourd'hui. «Il va être bien meilleur, assure la fromagère Suzanne Dufresne. Le lait cru a une complexité d'enzymes qui ne pourra jamais se retrouver dans du lait pasteurisé.»

LE LAIT PASTEURISÉ

Le lait pasteurisé a été chauffé à haute température pour détruire ses bactéries. On peut chauffer le lait quelques secondes à très haute température (autour de 73 degrés Celsius) ou une trentaine de minutes à une température un peu moins élevée. Le lait de consommation courante est pasteurisé et c'est aussi le lait qui est le plus utilisé pour faire le fromage.

LE LAIT THERMISÉ

Le lait thermisé a été chauffé quelques secondes à une température plus basse que celle de la pasteurisation. C'est la solution qu'ont trouvé les fromagers pour faire un contrôle des bactéries, sans perdre toutes les qualités aromatiques du lait. C'est un peu le lait du compromis, dans le cas des fromages, bien qu'il ait suscité tout un débat en France car les artisans du Camembert de Normandie refusaient qu'on remplace le cru par le thermisé.

LE LAIT CRU

Le lait cru n'a subi aucune altération thermique, voilà pourquoi il doit être transformé rapidement. Il est au coeur de bien des débats laitiers et dans le coeur de bien des gourmands. Les fromagers qui l'utilisent jurent que son goût intact ne se compare pas avec du lait pasteurisé ou même thermisé. Ses défenseurs souhaitent que Québec permette maintenant la vente de lait cru directement au grand public.