Tout autour du marché Jean-Talon, la vie a sacrément bougé depuis quelques années. Les étals se sont renouvelés, les trottoirs élargis, les commerces égayés. Et les restaurants diversifiés.

Et comme il y a maintenant à longueur d'année, un tas de bonnes petites bricoles à manger, bien fraîches surtout, qu'il y ait des restaurants de qualité qui s'installent n'a rien de surprenant. Ce qui l'est, c'était l'absence d'une bonne pizzeria.

C'est chose faite avec cette trattoria un peu luxueuse baptisée Vinizza (comme «vini» + «pizza», vous pigez?). L'intérieur a été remodelé pour ressembler à un resto luxueux de Rome ou de Naples, avec du marbre et du granit partout, des télés au plasma installées près du bar qui diffusent un documentaire magnifique sur les paysages italiens et promettent certainement des diffusions sportives futures avec l'Italie à l'affiche. Et avouons que même s'il y a une certaine pesanteur dans tout ce rococo à la Versace, on s'y sent bien parce que ce sont quand même de beaux matériaux et que, ma foi, les Italiens aiment bien le genre emphatique. Ça doit être tous ces siècles à vivre au milieu de ruines romaines ou autour des statues de Bernini.

Quoi qu'il en soit, le menu propose trois catégories toutes simples, les assaggini qui seraient un peu l'équivalent des tapas à l'italienne, moins qu'une entrée et plus qu'un antipasto, les pastas et les pizzas. En général, quand ça commence bien, on est sur nos gardes, la suite souffrant parfois de comparaison. Mais les entrées sont dans un ton franchement estival, présentées avec soin et netteté dans de jolis petits contenants. Pour des crevettes sautées (4) avec une pointe d'ail et associées à des pois chiches, on mouille d'un trait de vin et ça vous donne une sauce pleine d'esprit pour des bouchées qui manquent souvent de caractère. On nappe la sauce avec le pain même si ce sont des manières de briqueteurs. La peperonata, un peu trop salée, est tout de même succulente, les poivrons sont fondus en un magma sublime, revalorisé par des morceaux de saucisses poêlées. Nous ne laissons même pas une miette, au diable la forme!

Nous choisissons du menu de pâtes, les ravioli aux champignons sauvages, sautés au beurre et à la sauge fraîche. Ce classique plat lombard qui a ses aficionados dont je suis et doit avoir une pâte délicate, presque aussi fine qu'une feuille de papier pour être réussi. Ce que l'on parvient à faire ici nous respirons. La sauce luisante et légèrement mentholé est vive. C'est un délicat contrepoint à la densité de la farce aux champignons. Là, j'avoue, j'ai vécu une petite épiphanie. Au fond, c'est ça la gastronomie: il y a en cuisine, quelqu'un qui aime ce métier et l'assiette vous la rend bien. On sent la même dévotion avec des gnocchi presque (je dis presque) aériens, tant ils sont graciles, pratiquement en apesanteur dans une sauce courte à la tomate fraîche et au basilic, que l'on coiffe d'une cuillère de ricotta onctueuse. Quand on a envie de pâte, on peut difficilement faire mieux que cette divine simplicité. On trouve aussi quelques pastas inhabituelles, comme des strozzapreti (des étouffe-prêtres, allez savoir!) sautées avec des aubergines, des zucchini et des pommes de terre, comme on les fait en Sicile. Enfin, si les pizzas vous tentent, vous pouvez y aller sans crainte, elles ont belle mine lorsqu'elles émergent de leur court séjour dans le (très beau) four à pizza recouvert de céramique. Pâte mince mais pas trop, garniture en quantité restreinte, une pizza c'est d'abord une pâte et pas un édifice de garniture trop mouillé.

En finale, on se dit qu'il y toujours manière de faire mieux qu'un tiramisu ou une panna cotta. Même si les Italiens n'ont pas l'habitude de manger sucré après un repas de pâte (ce qui est beaucoup plus sage d'ailleurs). En tout cas, on craque pour l'affogato qui signifie «l'étouffée», car la boule de glace à la vanille est censée être étouffée par un espresso bien chaud que l'on verse sur le dessus. Avec un peu de crème fouettée pour la forme. Et quelques petits fruits que l'on néglige. Le dessert se présente en deux petits verres sur une belle assiette rectangulaire blanche et le serveur verse le café; ça fait «spectacle», et c'est tout à fait délicieux. Simple comme tout n'est-ce pas?

_________________

Vinizza

150, rue Jean-Talon Est

Montréal

514-904-2250


> On y retourne? Absolument, et plus d'une fois si la qualité se maintient.

> Prix: Tout est facturé raisonnablement ce qui a l'air d'en attirer plus d'un. Les entrées facturées de 4 à 10$, les pastas, 12 et 19$, les pizzas à partir de 11$. Comptez autour de 80$ pour un repas complet, tout compris avec 2 verres de vins.

> Faune: Il y a des enfants partout, des mémés, des pépés, des jeunes filles en corsets (peut-être même Versace) avec des pantalons très moulants. Ça bavarde haut et fort. C'est ludique et bienveillant.

> Service: Le rythme est un peu cahoteux par moment, mais il y a une volonté sincère de faire les choses bien. Et puis, tout le monde a le sourire.

> Vin: Le point faible, seuls quelques vins au verre et pas forcément des meilleurs. En revanche, les prix ne sont pas abusifs, on ne vous prend pas pour un c...

(+): L'ambiance franchement gaillarde.

(-): Pour un resto dont le préfixe est «enoteca» (vinothèque en italien), la sélection de vins est plutôt ordinaire, et faite de crus que l'on retrouve aisément à la SAQ. Heureusement, les prix ne sont pas trop élevés. C'est déjà ça.