Il fait beau. C'est la belle saison pour les fruits canadiens. Il y a des fraises plein les champs. Les pêches de l'Ontario vont arriver dans les marchés dans quelques jours et l'achat local a le vent dans les voiles. Sous cette apparente lune de miel se cachent des chiffres surprenants : les importations de fruits ont beaucoup augmenté depuis 15 ans alors que la production, elle, diminue.

Les derniers chiffres sur l'alimentation des Canadiens de Statistique Canada feront certainement plaisir aux nutritionnistes, mais moins aux agriculteurs. La consommation de fruits est en hausse. Différentes couleurs, différentes saveurs; l'hiver comme l'été. Mais de plus en plus, ces fruits viennent d'ailleurs. Même en saison.

On comprend lorsqu'il s'agit d'ananas, de figues et de papayes, des fruits de plus en plus populaires Mais des poires? Des pommes?

«À peine 50% des pommes fraîches consommées au Québec viennent du Québec», calcule François Blouin, vice-président de la Fédération des producteurs de pommes du Québec.

La production de pommes a diminué de 16% au Canada en 15 ans. Pour la même période, l'importation a presque doublé. Phénomène d'autant plus frustrant, explique le producteur, que les pommes du Québec sont maintenant pratiquement disponibles à l'année.

Dans le rayon des pommes fraîches, la concurrence vient des États-Unis, mais lorsqu'il s'agit des pommes de transformation, celles qui finissent dans les tartes et autres pâtisseries, les pommes chinoises font la vie dure aux canadiennes. «Je suis dans le domaine depuis 21 ans et le prix des pommes de transformation n'a pas changé», explique François Blouin qui produit aussi des fraises.

Manque de chance, le phénomène est le même dans les champs de fraises. Le Canada a produit 35 040 tonnes de fraises en 1995. L'année dernière, 23 900 tonnes. Pour la même période, les importations ont plus que doublé. Bien sûr, on pense à la fraise californienne au coeur blanc qui est disponible toute l'année. Mais pour la fraise de transformation, les industriels d'ici préfèrent de la fraise chinoise ou péruvienne, beaucoup moins chère.

Question d'étiquette

Les producteurs jettent le blâme, en partie, sur l'étiquetage des aliments. Jusqu'au 31 décembre de cette année, les transformateurs alimentaires peuvent indiquer «produit du Canada» même si, en fait, la matière première vient de l'autre bout du monde. C'est ce qui fait que les consommateurs boivent du jus de pomme de Chine sans le savoir, explique Adrian Huisman, représentant des Producteurs de fruits tendres de l'Ontario. Mais hier, le ministre de l'Agriculture du Canada a confirmé un changement de réglementation annoncé plus tôt cette année. Un «produit du Canada» en épicerie devra être fait avec des matières premières canadiennes.

«C'est une très bonne nouvelle», indique Adrian Huisman. Car le reste du Canada fruitier vit aussi avec la concurrence étrangère. Dans la péninsule du Niagara, la saison des pêches commence cette semaine, celle des poires, un peu plus tard. Dans un cas comme dans l'autre, la production baisse alors que l'importation augmente, malgré l'excellente réputation des fruits ontariens.

M. Huisman explique que ces statistiques aussi sont les conséquences de la transformation qui préfère utiliser des fruits moins chers. La dernière usine de fruits en conserve a fermé ses portes le printemps dernier, en Ontario. Ce qui fait qu'aujourd'hui, si vous achetez des pêches, des poires ou de la salade de fruits en conserve, vous êtes certains qu'il s'agit de fruits importés. «Si vous voulez avoir des pêches du Canada à l'année, il ne vous reste qu'une solution, explique Adrian Huisman. Faites vos conserves vous-mêmes!»

Avec l'annonce du ministre Gerry Ritz, les consommateurs pourront au moins faire des choix en toute connaissance de cause. «Je pense que le gouvernement a répondu aux préoccupations des consommateurs», dit Gilles McDuff, de la Fédération des fruits et légumes de transformation du Québec qui avait mené une bataille pour faire changer cette réglementation, les producteurs de légumes étant aussi pris avec une féroce compétition des produits importés.