Malgré les apparences, la cour d'école peut être une jungle pour votre enfant. De vrais petits durs terrorisent parfois leurs camarades sans raison. Résultat? Votre enfant pleure tous les matins pour ne pas aller en classe. De retour à la maison, il répète tous les soirs que c'est «plate» l'école. Vous finissez par apprendre que votre petit dernier subit jour après jour les insultes d'un trio d'élèves malcommodes. Que faire? Une école primaire de Grande-Bretagne pense avoir trouvé une solution.

En Grande-Bretagne, pas une semaine ne passe sans qu'une triste histoire de harcèlement entre enfants défraie la chronique. Le «bullying», comme on l'appelle, gangrène le système scolaire britannique. Mais un nombre croissant d'écoles pensent avoir trouvé la solution, inspirée du peuple maori en Nouvelle-Zélande.Olivia, Amy et Tammy forment un trio d'enfer. À chaque récréation, les fillettes de 11 ans pouffent de rire, bras dessus, bras dessous, dans la cour de l'école primaire Bell Lane, dans le nord de Londres.

Il y a à peine un an, elles étaient les pires ennemies.

Insultes, coups bas, courriels injurieux: les trois écolières se livraient une guerre à n'en plus finir.

La plupart du temps, Tammy Humphrys, douce et souriante, était la cible des railleries d'Olivia Traille-Jewell et d'Amy Mukuru.

Leur rivalité empoisonnait l'atmosphère de l'école, où se conjuguent 48 langues. «J'ai un cahier épais comme ça sur toute l'histoire», dit la titulaire Teresa Green.

Sentiments douloureux

Tammy s'isolait. Elle rentrait en larmes à la maison. «Je me sentais coupable, raconte-t-elle devant ses anciennes rivales. Je pensais que quelque chose ne tournait pas rond avec moi.»

«La directrice me disait que j'étais une fauteuse de trouble, dit pour sa part Olivia. Je ne la croyais pas. Aujourd'hui, je vois bien que j'agissais comme une bully (petite brute)», dit-elle en faisant référence au terme utilisé par la presse britannique.

Que s'est-il passé? Deux mots: «justice réparatrice». Certaines écoles britanniques ne jurent plus que par cette méthode de médiation pour venir à bout des petits durs.

Cartes sur table

Au lieu de punir Olivia et Amy, la direction de Bell Lane a réuni les trois fillettes et leurs parents, histoire de mettre cartes sur table.

Tammy et sa mère ont expliqué comment le conflit détruisait leur famille. Olivia et Amy n'en croyaient pas leurs oreilles.

«Elles ont compris la gravité de leurs actes d'intimidation, dit Teresa Green. Olivia a dit: "Mon Dieu! Je ne savais pas que tu te sentais comme ça." Le fait d'entendre la version de Tammy lui a enlevé le goût de continuer ses jeux cruels.»

À la fin de la discussion, la hache de guerre était enterrée pour de bon.

Avec la justice réparatrice - ou restauratrice -, la victime et son bourreau sont réunis pour faire prendre conscience à celui-ci des conséquences de ses gestes.

Les deux parties conviennent ensuite d'une réparation pour que justice soit faite.

Inspirée des Maoris

Inspirée de la philosophie du peuple maori, en Nouvelle-Zélande, cette méthode gagne en popularité. Elle a des partisans de taille: le populaire archevêque Rowan Williams et Cherie Booth, la femme d'un certain Tony Blair. À ce jour, un tiers des commissions scolaires britanniques offrent de la formation aux institutions.

Une poignée d'écoles ont adopté cette approche au canada, mais aucune encore en sol québécois.

Pour l'heure, la plupart des écoles britanniques ont toujours recours à la bonne vieille discipline.

Or, la menace des retenues encourage plutôt les garnements à déjouer l'autorité, déplorent les adeptes de la justice réparatrice, et force leurs victimes au silence.

À l'école Bell Lane, les fautifs doivent respecter un «contrat» de bonne conduite pendant une durée déterminée.

«Les bourreaux sont souvent eux-mêmes pétrifiés», explique la directrice, Susy Stone. Ils frappent de peur de se faire frapper.

«Au lieu de les blâmer, on leur demande: Que s'est-il passé? À quoi pensais-tu? Comment te sentais-tu?. On les responsabilise face à leur comportement. Souvent, les élèves font la paix en quelques minutes!»

Un fléau

La justice réparatrice fait mouche dans un système scolaire sclérosé par la persécution entre enfants.

Les cas graves qui ont abouti à une expulsion ont augmenté de 14% en 2005 en Grande-Bretagne, selon les dernières données. Chaque jour, environ 20 000 enfants terrorisés refusent d'aller à l'école.

Certains épisodes se soldent carrément par le suicide de la victime.

Ce fut le cas de Casey Knibbs, 13 ans. L'adolescent originaire de Warwickshire, dans le centre de l'Angleterre, a été tyrannisé jusque dans sa page personnelle sur l'internet.

«Si tu ne te tues pas, nous allons le faire pour toi», lui ont écrit des camarades de classe. Casey est passé à l'acte en mars dernier. La punition des tyrans? Une expulsion de deux jours.

Des histoires qui donnent froid dans le dos, Linda Frost en connaît trop. Les médias ne rapportent que la pointe de l'iceberg, selon la conseillère à l'organisme Kidscape.

«En désespoir de cause, des jeunes s'automutilent et se suicident, dit-elle. Les enseignants ont peur de s'en mêler, car ils sont souvent eux-mêmes persécutés par des élèves.»

Un suivi soutenu

L'experte approuve la justice réparatrice à condition qu'il y ait un suivi soutenu de la part du personnel.

«Certaines écoles adoptent l'approche "sans reproche", dit-elle. Elles sont trop douces avec les bourreaux.»

Susie Stone assure que ce n'est pas le cas à son établissement.

La preuve: la paix est revenue dans les corridors. «Il y a beaucoup moins de cris et de batailles, assure-t-elle. D'instinct, les élèves vont voir les médiateurs avant qu'une crise n'éclate.»

«Nos jeunes sont devenus plus honnêtes que les professeurs pour reconnaître leurs torts!» rigole-t-elle.

Un phénomène qui prend de l'ampleur

- Les bourreaux sont de plus en plus jeunes. Un enfant de 5 ans est expulsé de son école chaque semaine.

- Plus de 60% des élèves londoniens croient que le problème est grave dans leur classe.

- Deux adolescentes sur trois avouent persécuter des camarades sans éprouver de culpabilité.

- L'internet rend le harcèlement plus insidieux. Un enfant sur cinq a reçu des courriels ou des messages SMS malveillants.

- Un comité parlementaire a exigé en mars une enquête nationale sur l'ampleur du phénomène. Des députés craignent que des écoles ferment les yeux sur des incidents pour sauvegarder leur réputation.