L'aluminium est-il en train de gagner la guerre des bouchons contre le légendaire liège?

Les puristes allergiques aux bouchons à vis n'aimeront pas la réponse, mais les chiffres ne mentent pas: le liège perd du terrain à une vitesse vertigineuse et si la tendance se maintient le tire-bouchon deviendra sous peu une relique de musée.

Voici, en guise d'apéro, une statistique spectaculaire: en 2003, les bouchons à vis n'accaparaient que 1,6% du marché mondial de 18 milliards de bouteilles. Aujourd'hui, six ans plus tard, c'est 10 fois plus: 16%, soit trois milliards de bouteilles.

Chaque année, 500 millions de bouteilles abandonnent le liège pour le bouchon à vis. À ce rythme-là, il faudra moins d'une décennie pour que l'alu triomphe définitivement du liège. Ce n'est évidemment pas aussi simple. Certains vins, surtout les très grands vins, résisteront encore longtemps à l'invasion du bouchon à vis.

Cela dit, il n'y a plus de vaches sacrées. Même le champagne s'ouvre à l'innovation, ce dont je vous parlerai en détail la semaine prochaine.

Les bouchons à vis sont tellement fréquents maintenant que les sommeliers français ont inventé une technique pour servir le vin en restaurant.

Après avoir présenté la bouteille aux clients, le sommelier décapsule la bouteille en tournant non pas le bouchon mais la «jupe» (il «déjupe» la bouteille, dit-on), puis il fait glisser le bouchon sur son avant-bras pour le récupérer discrètement. J'ai essayé, mais de toute évidence, j'ai encore besoin de pratique...

On pourrait croire que le bouchon à vis est roi aux États-Unis, là où on retrouve depuis longtemps de nombreux détracteurs du liège. En fait, seulement 10% des bouteilles produites aux États-Unis portent le bouchon à vis.

En Nouvelle-Zélande et en Australie, par contre, l'alu a d'ores et déjà gagné la bataille des bouchons. Le bouchon à vis est utilisé pour 95% des 200 millions de bouteilles produites en Nouvelle-Zélande et pour 80% du milliard de flacons australiens.

Toujours dans le Nouveau Monde, le bouchon à vis accapare 35% du marché chilien et 20% chez le voisin argentin.

En France, sans grande surprise, l'attachement au liège est plus fort. Seulement 12% des 2,5 milliards de bouteilles françaises sont capsulées avec un bouchon à vis.

Pourtant, le fameux bouchon Stelvin (fabriqué par Alcan Packaging), une référence dans le domaine, a été inventé et breveté en France (en Bourgogne) il y a 40 ans.

Ce produit, qui permet au vin de respirer grâce à une membrane spéciale au fond de la capsule d'aluminium et qui garantit, évidemment, un vin sans goût de bouchon, a végété pendant 30 ans avant de connaître, il y a 10 ans, son heure de gloire.

«Ce n'est plus seulement pour plaire aux consommateurs. Les producteurs apprécient aussi la régularité qu'offre le bouchon à vis au lieu du liège», explique Karine Herrewyn, directrice des ventes Sud-Ouest Europe chez Alcan Packaging Capsules, qui était de passage à Montréal il y a quelques jours.

«Cela fait 40 ans que nous utilisons le bouchon Stelvin, nous avons le recul nécessaire pour démontrer que le vin peut vieillir et mieux vieillir», ajoute Mme Herrewyn.

Vous direz que Mme Herrewyn prêche pour sa paroisse, évidemment, mais les grands critiques internationaux passent eux aussi dans le camp du bouchon à vis.

Bettane et Dessauve (La Revue du vin de France) ont affirmé que le vin peut s'exprimer sous bouchon à vis sans interférence du liège

Le très influent Michel Rolland vient d'adopter l'alu pour ses rosés, et Robert Parker, le pape des critiques, affirme qu'une majorité de bouteilles sur le marché mondial sera surmontée d'une capsule à vis d'ici 2015.

Vaudrait mieux vous y faire, la tendance lourde joue contre le liège.

Ce n'est peut-être pas si grave après tout. À force de sortir des bouteilles bouchonnées de ma cave, je suis en train de basculer, moi aussi, du côté de l'alu.