Mythe ou réalité? Seuls les grands bordeaux rouges, et de millésimes exceptionnels, sont aptes à tenir la route durant de nombreuses années, estime-t-on en règle générale.

Or, attention, il faut se méfier, car même des bordeaux rouges 1990, d'un millésime extrêmement réputé, donc, sont déjà sur leur déclin, comme le découvrent avec consternation nombre d'amateurs qui ont de ces vins dans leur cellier!

 

Autrement dit (on ne le répètera jamais assez!), tous les consommateurs qui possèdent soit plusieurs centaines de bouteilles, et donc une véritable cave, soit simplement quelques dizaines, se doivent de goûter leurs vins dits de garde à intervalles réguliers.

Sans que ce soit évidemment une règle absolue, à tous les cinq ans, par exemple.

Ainsi, - et pour en rester momentanément aux bordeaux rouges-, il faudrait goûter cette année, en 2009, les 2004 (cinq ans), et les 1999 (10 ans), mais aussi tous ceux de millésimes antérieurs. Et même chose pour tous les autres vins qu'on garde en cave, même les portos millésimés, lesquels peuvent parfois perdre de leurs qualités plus tôt qu'on ne le pense.

Sinon, on risque de se retrouver avec des vins trop vieux, aux odeurs et aux saveurs de pruneaux cuits!

Puis, chose qui peut surprendre, ce ne sont pas forcément les Médocs, tels que les Margaux, les Pauillacs, les Saint-Juliens, qui sont aptes à le mieux vieillir.

«Ce sont toujours les Pomerols qui sauvent la mise!» a déjà déclaré à ce sujet un célèbre amateur de Californie, Bepin Desaï, ingénieur aéronautique de son métier, et propriétaire d'une cave fabuleuse. (Il lui est arrivé de tenir une dégustation de 75 millésimes du Margaux 1er Grand cru classé Château Margaux, dont le magazine américain Wine Spectator fit un compte rendu...)

Cet amateur d'origine tibétaine voulait dire par là que, lors de dégustations dites horizontales (plusieurs vins d'un même millésime), ce sont, à son avis, normalement, les Pomerols, et donc les vins à forte teneur en Merlot, qui remportent la palme. (Exemple, bien qu'il ne s'agisse pas d'un Pomerol, le Saint-Émilion Grand cru 1986 Château Tertre Roteboeuf, fait avec pas moins de 85% de Merlot, goûté récemment et qui est, en ce moment, ce qu'on pourrait qualifier de chef-d'oeuvre de charme et de complexité.)

En fait, comme le savent et l'affirment les amateurs qui ont eu l'occasion de déguster beaucoup de vins, la Californie avec ses meilleurs vins de Cabernet Sauvignon, le Rhône, et même la Bourgogne, entre autres, produisent certains vins, surtout des rouges, capables dans de grands millésimes de défier le temps!

L'Australie, elle, a ses vins blancs de Sémillon, de la Hunter Valley, au nord de Sydney, qui vieillissent admirablement.

Enfin, pour l'Italie, ce sont avant tout les vins du Piémont, de Nebbiolo, notamment les Barolos et les Barbarescos, qui sont susceptibles, à mon sens, de franchir les décennies sans broncher. (Il y a un an ou deux, un ami servit ainsi, à l'aveugle, une bouteille de Barolo 1978 Scarpa, qui avait donc à ce moment-là une trentaine d'années. Complexe, ferme quoique sans dureté, il était resté parfaitement savoureux.)

Domaine du Vieux-Télégraphe

C'était à la mi-mars, dans la vallée du Rhône, en soirée, après une dégustation au Domaine du Vieux-Télégraphe, lequel compte parmi les propriétés les plus réputées de l'appellation Châteauneuf-du-Pape.

Voulant... surprendre notre petit groupe de journalistes, Daniel Brunier, copropriétaire avec son frère Frédéric de ce grand domaine de 70 hectares, servit à table quatre de ses vins à l'aveugle. Soit un blanc et trois rouges, en nous invitant à tenter d'en deviner les millésimes!

Bien coloré, de couleur paille, doté d'un bouquet de fruits confits aux nuances mielleuses, très peu acide, onctueux, le Domaine du Vieux-Télégraphe 1992 blanc avait néanmoins fort bien vieilli, malgré son acidité peu marquée, et demeurait délicieux.

Suivirent les trois rouges, à savoir le Vieux-Télégraphe 1998, corsé, compact, mais aux arômes animaux, et qui, m'a-t-il semblé, avait sans doute été affecté par ces levures nuisibles (les brettanomyces) responsables de ces odeurs et de ces goûts; le 1985, lui, était impeccable, mais je me souviens d'avantage du 1979, au bouquet large, complexe, encore solide et tannique, et qui se buvait fort agréablement.

«Il peut tenir encore une bonne dizaine d'années», fit remarquer Daniel Brunier à propos du 1979.

 

Il n'exagérait pas...Des frères Brunier, on peut goûter à l'heure actuelle, d'un autre de leurs domaines, le Châteauneuf-du-Pape 2004 Domaine La Roquète., dont j'ai fait état précédemment.

Assez peu coloré, comme d'ailleurs beaucoup de vins de cette appellation, son bouquet est «étonnamment nuancé (fruits rouges, cuir, aussi quelque chose comme une note de tabac, etc.), ai-je alors écrit. Vin de Grenache (70%), de Syrah (20%) et de Mourvèdre (10%), et élevé en foudres, c'est un vin d'une bonne concentration, aux arômes comme un peu sucrés (le Grenache), relativement corsé, aux tannins à la fois fermes et aimables. Très bon (142 caisses)».

S, 10268406, 44,50$, *** 1/2, 17,8/20, $$$$, 2009-2015

Mais, bien sûr, il est cher, comme le sont désormais tant de vins de cette appellation.

D'autres vins du Rhône

Vin richement coloré, au bouquet de très bonne ampleur, mais plutôt unidimensionnel pour l'instant et dans lequel dominent des arômes de fruits noirs, le Côtes du Rhône Villages 2006 Chusclan Château Signac, dense, bien en chair, corsé et aux tannins fermes quoique sans agressivité, d'une appellation moins prestigieuse, offre l'avantage... d'être nettement moins cher, tout en n'ayant pas le fini (si l'on peut dire) et la distinction du Domaine La Roquète. Sérieux, donc. Vin fait surtout de Grenache (40%) et de Syrah (27%), il est élevé en cuves de béton.

S, 917823, 20,85$, *** 1/2, 17,7/20, $$ 1/2, 2009-2013

Plus cher, le Gigondas 2004 Les Garancières Santa Duc, un peu moins coloré que le Château Signac, se présente pour sa part avec un beau bouquet très fruits rouges, très Grenache, nuancé, dans un style très proche des Châteauneufs-du-Pape, avec cependant quelque chose comme une petite nuance végétale (la Syrah?) qui apparaît après plusieurs minutes d'aération. D'une bonne concentration, compact, on retrouve les mêmes arômes de fruits rouges en bouche, sur des tannins solides. Élaboré avec 80% de Grenache, puis 10% de Syrah et 10% de Mourvèdre, la moitié de la cuvée est élevée en foudres (de grands tonneaux). Très bon (60 caisses).

S, 709303, 25,25$, *** 1/2, 17,6/20, $$$, 2009-2013

La recommandation de la semaine

Très beau vin du Languedoc, le Côtes du Roussillon 2006 Marie Gabrielle Cazes, d'une couleur soutenue, pourpre-prune, séduit tout d'abord par son bouquet, associant avec bonheur fruits rouges et fruits noirs, avec tout autant de charme au plan gustatif. Un peu plus que moyennement corsé, d'un équilibre remarquable (comme le souligne avec raison ce domaine dans la fiche technique), ses tannins sont tendres, aimables. On se délecte, à prix raisonnable. Vin de Syrah surtout (40 %) et de Grenache (30 %), on y trouve aussi du Mourvèdre (20 %) et du Carignan (10 %), et l'élevage a lieu en cuves (284 caisses).

S, 851600, 18,95 $, *** 1/2, 17,5/20, $$, 2009-2010.

Dégustés pour vous

Montsant 2006 Ètim Negre. Vin rouge espagnol de Grenache (60 %), de Carinena (30 %) et de Syrah (10 %), élevé six mois en fûts, nettement plus que moyennement corsé, tannique, ferme, au bouquet de bon volume et aux arômes de petits fruits noirs. Fort bon, et à prix correct (241 caisses). S, 10898601, 14,60 $, ** 1/2, 15,5/20, $ 1/2, 2009-2011.

Langhe 2006 Batasiolo. Vin rouge du Piémont élaboré avec trois cépages de ce vignoble (Dolcetto, Barbera et Nebbiolo), puis élevé quelques mois en fûts, ce millésime succède au 2005, plus dense et plus charnu, le 2006 se présentant avec des tannins plutôt rudes et même assez rustiques, tout en ne manquant pas de matière. À boire impérativement à table, car les aliments l'arrondiront (103 caisses). S, 611251, 17,55 $, ** 1/2, 15/20, $$ , 2009-2014

Châteauneuf-du-Pape 2006 Château Cabrières. Très beau Châteauneuf-du-Pape, au bouquet expressif, de fruits rouges bien mûrs, avec du corps, de l'éclat et en bouche les mêmes arômes de fruits rouges qu'au nez, le tout bâti sur des tannins ronds, bien enrobés. 50 % Grenache, lequel domine du point de vue gustatif, 15 % Syrah, 12 % Mourvèdre et de plus faibles proportions d'autres cépages, avec élevage en cuves. Savoureux, et à un prix qui reste correct vu l'appellation. S, 961946, 34,25 $, *** 1/2 , 17,8/20, $$$ 1/2, 2009-2013

Sancerre 2007 Pascal Jolivet. Vin blanc de la Loire de Sauvignon blanc, dont le bouquet, plutôt ténu, non boisé, est typé, mais sans que ce soit très manifeste. Suit une bouche aux saveurs franches, non sans finesse, avec toute l'acidité voulue. Très bon Sancerre, mais qu'on souhaiterait un peu moins cher. 12,5 % d'alcool seulement (157 caisses). S, 528687, 28,95 $, *** , 16,6/20, $$$ 1/2, 2009-2012