J'ai rencontré Alain Brumont au lendemain de son 65e anniversaire de naissance, célébré à Montréal le 20 avril dernier. Nous avons aussi marqué le coup de ses 30 millésimes à Madiran et dégusté quelques crus de l'homme ès tannats.

Alain Brumont est un viticulteur d'une classe à part, à ranger parmi les plus grands vignerons de France.

Ayant su amadouer ce cépage autrefois rustre et même brutal, Brumont mérite la Légion d'honneur tant il a fait pour la reconnaissance internationale des vins de Madiran, tout comme pour l'ensemble du Sud-Ouest, autrefois «snobé» par les Bordelais. C'est simple, à Madiran, il y a les vins de Montus et de Bouscassé, ses deux domaines, et les autres.

Exactement comme dans le Rhône, où trônent au sommet les vins de Guigal. Idem dans le Piémont, avec ceux de Gaja, tout comme en Espagne, avec les crus d'Alvaro Palacios. Tous ont en commun d'avoir redéfini le genre, d'avoir repoussé les limites et d'avoir créé des vins hors normes, souvent devenus des mythes, dont le rayonnement mondial rejaillit sur la production locale.

Son oeuvre ultime est certes le madiran La Tyre, du plus haut coteau de l'appellation, composé de gros galets roulés sur des argiles rouges, qu'il a découvert en 1990 et planté depuis à 100% tannat  auquel il a ajouté, au fil des ans, 2 à 3% de cabernet sauvignon, pour «arrondir les angles du tannat».

Il suffit de déguster La Tyre 2003 (124,50$: 10 796 444) pour s'en convaincre: un vin méritant quatre étoiles et demie, au nez très minéral, à la fois profond et expressif, marqué par des notes de mine de crayon, de cassis et de prune, au boisé discret et intégré, à la bouche intense, d'un grand volume, très serrée, droite, minérale et élancée.

Mais, je reste toujours subjugué par la justesse de propos et l'éclat de ses cuvées Bouscassé Vieilles Vignes, Montus et Montus Prestige. Sans compter qu'elles représentent toutes d'excellents rapports qualité-prix pouvant rivaliser avec de grands vins vendus beaucoup plus cher. Un Montus 1994, dégusté lors de son passage au Québec, m'a laissé bouche bée tant la matière est prenante.

Après presque 17 ans, ce cru est dans une forme splendide, à la couleur rubis profonde, très peu évoluée, au nez tout aussi jeune, compact, profond, avec une pointe légèrement truffée, ainsi que des notes de cacao, de sang de viande fraîche, de prune compotée et d'encre de Chine, à la bouche pleine et dense, aux tanins murs, avec du grain, mais sans dureté, aux saveurs expressives et longilignes, laissant de longues traces de réglisse. Un grand vin, d'une tenue impeccable.

Toujours à l'affût de nouveaux défis, le verbomoteur de Madiran a créé au fil des ans quelques nouvelles cuvées, dont Les Menhirs. Cette dernière, à parts égales de merlot et de tannat, plus particulièrement Les Menhirs 2004 (32,50$; 11 222 021), surprend par sa chair sensuelle, sa plénitude de saveur et sa texture d'une grande épaisseur veloutée. Réglisse, café et fruits noirs signent avec panache le nez expressif. Son profil merlot est doublé d'un grain serré typique du tannat.

Je pourrais poursuivre en parlant, entre autres, de mes coups de coeur pour son très racé et profondément fruité Montus Prestige 2002 (52,50$; 705 475), un cru quatre étoiles, tout comme pour son grand blanc sec Montus Blanc 2007 (23,05$; 11 017 625), pénétrant et texturé comme pas un, au grand potentiel d'évolution en bouteilles. Idem pour le juteux et plein, réglissé et torréfié splendide Bouscassé Vieilles Vignes 2004 (36,50$; 904 979).

François Chartier est l'auteur de Papilles et molécules, et du livre de recettes Les recettes de Papilles et molécules. Suivez-le sur Twitter: PapillesetM

Mes trois choix de Madrian signés Brumont

Torus 2008

Madiran, Vignobles Brumont, France

16,10$ (466 656) ** (*)$ ($) MODÉRÉ

Ce nouveau millésime se montre à la fois plus racé et plus gourmand que par le passé. Le nez, minéral et ramassé, précède une bouche plus bavarde, plus enrobée et même étonnamment détendue pour l'appellation, ayant gagné en texture depuis ma première dégustation en primeur de ce 2008 en août 2010. Je vous le dis, cette cuvée n'a jamais été aussi attrayante. Surtout si vous avez la bonne idée de lui présenter soit un hachis Parmentier de canard au quatre-épices ou un boeuf braisé à l'anis étoilé, façon di Stasio.

Bouscassé 2007

Madiran, Alain Brumont, France

19,35$ (856 575) ***$ ($) MODÉRÉ+

Ce 2007 se montre débordant de fruits, texturé et enveloppant comme jamais pour ce cru. Le style de Bouscassé s'est beaucoup détendu au fil des derniers millésimes, et c'est nous qui en profitons. La matière est belle, les tanins polis avec doigté, l'acidité discrète mais juste, la texture presque veloutée, sans trop, et les saveurs pures et définies. Bravo. Servez-lui un filet de porc fumé et/ou fortement grillé à l'extérieur, accompagné d'une sauce au boudin noir et au vin rouge.

Argile Rouge 2004

Madiran, Montus-Bouscassé, France

27,85$ (11 179 472) *** (*)$$$ CORSÉ+

Nez à la fois profond et frais, intense et minéral, sans aucun boisé apparent et sans surextraction inutile. Bouche à la fois pulpeuse et dense, pleine et ample, aux tanins mûrs à souhait et enveloppés. Du fruit à profusion, aux notes de mûre et de bleuet, de l'expansion et un boisé intégré avec maestria. Un cru à 100% tannat, qui se mérite presque quatre étoiles, et qui ne fait qu'un avec les plats dominés par la réglisse ou l'anis étoilé - qui ont toutes deux le pouvoir d'assouplir les tanins du tannat et de propulser les saveurs des madirans dans le temps -, comme c'est le cas du jarret d'agneau confit et lentilles du Puy au jus d'agneau parfumé à l'anis étoilé.