En ce week-end de Pâques, les astres semblent alignés pour nous obliger à nous sucrer le bec ! Nous voici en pleine période des sucres, où les érables offrent leur abondante sève que les alchimistes des bois ont appris à magnifier en un sirop d'une folle complexité de saveurs, tout comme en «saison pascale» où les victuailles trônent sur nos tables, dont le chocolat noir. Voici quelques pistes harmoniques pour accompagner ces délectables gâteries.

Entrons directement dans le vif du sujet: peut-on boire du vin rouge avec la cuisine baignée de sirop d'érable ? Je serais tenté de répondre à la Robert Bourassa par un diplomatique «noui»... Mais, grâce à de multiples essais au fil des ans, et surtout aux nouvelles pistes harmoniques qui s'ouvrent, à la suite de mes recherches sur les composés volatils des aliments et des vins, il est possible de réussir une certaine harmonie.

Grande fut ma surprise lorsque, en recoupant mes résultats de recherches moléculaires, j'ai pu trouver une très grande similitude entre les composés aromatiques qui signent le profil du sirop d'érable et ceux qui singularisent les vins passablement marqués par leur séjour en barriques de chêne.

C'est que le chêne et l'érable sont deux essences qui, dans leur transformation par l'utilisation de la chaleur - la barrique de chêne est brûlée plus ou moins intensément à l'intérieur avant son utilisation, et l'eau d'érable est chauffée à haute température pour la transformer en sirop -, voient leurs composés volatils, provenant originellement des lignines du bois de chêne et d'érable, se magnifier en une kyrielle de nouvelles molécules aromatiques encore plus complexes.

On y trouve, autant dans les vins élevés en barriques que dans le sirop d'érable, une bonne douzaine de composés volatils dominants qu'ils partagent. Ce qui explique le lien harmonique entre la cuisine au sirop d'érable en mode sucré et les vins élevés longuement en barriques et en fûts de chêne, comme le sont, entre autres, certains sauternes, portos tawnies, madères et xérès de type oloroso.

Il ne faut pas oublier les vins secs, qu'ils soient blancs ou rouges, aussi marqués, aromatiquement parlant, par le chêne torréfié des barriques, qui permettent une union juste avec une cuisine plus salée, rehaussée subtilement par les arômes de l'érable, et même, dans certains cas, avec la cuisine plus sucrée-salée.

D'ailleurs, les vins élevés en barriques de chêne d'origine américaine, étant plus richement pourvus en composés aromatiques proches parents avec ceux de l'érable, sont encore plus étroitement liés avec le sirop. Ce à quoi répond le rouge quasi passe-partout, pour ceux et celles qui tiennent au rouge même à la cabane à sucre, qu'est l'excellent et plus qu'abordable Monasterio de Las Vinas Reserva 2002, Carinena, Espagne (15,75 $ ; 854 422).

Une réserve espagnole 2002, donc un brin évoluée, se montrant à mi-chemin entre le fruité exubérant et le boisé dominant, exhalant de riches parfums de fruits rouges ainsi que des notes de bois brûlé rappelant la fumée et le créosote, avec une pointe cacaotée. La bouche se montre tout aussi boisée, enveloppante, pleine, longue, et égrainant des notes rappelant le chêne neuf, le girofle et la vanille. Donc, un vin marqué par son élevage, s'exprimant par des arômes typiques du sirop d'érable.

Fait intéressant, pendant ce week-end de Pâques, osez terminer ce Monasterio rouge avec un carré de chocolat noir à plus ou moins 85 % de cacao. Vous serez conquis par l'union juste des mêmes composés volatils, ainsi que par la rencontre en symbiose de la douce amertume des tanins du vin et du chocolat noir à fort pourcentage de cacao. Et n'hésitez pas à le précéder d'un carré de porc à la sauce chocolat épicée !

Vous pourriez aussi choisir une bière noire, idéalement québécoise, comme celles de Boréale et de St-Ambroise, et vous feriez ainsi d'une pierre deux coups ! Car sachez que ce type de pur malt, sombre comme la nuit, s'acoquine autant avec les produits de l'érable, partageant la même famille de composés volatils, dont le sotolon, qu'avec ceux à forte teneur en cacao, voyant ainsi s'unir leur douce amertume respective.

Pour ce qui est de la cuisine salée fortement rehaussée de sirop d'érable du début à la fin, comme pendant le temps des sucres, vous pourriez aussi opter pour une bière forte, brune, de type abbaye ou non, à l'exemple de la remarquable, puissante, caramélisée et torréfiée Bière Samichlaus extra forte (14 % alc.), Autriche (5,05 $ ; SAQ : 582 098), qui n'est pas sans rappeler le porto tawny ! À la condition de ne pas la servir froide, mais juste fraîche, à plus ou moins 14 degrés Celsius, dans un verre à vin évasé, comme vous le feriez pour un tawny.

Bon temps des sucres et joyeuses Pâques !

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François Chartier est l'auteur du nouveau guide des vins et d'harmonies avec les mets La Sélection Chartier 2009, aux Éditions La Presse. On peut lui envoyer des questions sur le blogue internet www.francoischartier.ca ou par la poste au 7, rue Saint-Jacques, Montréal H2Y 1K9.